L’obligation de non-concurrence de l’associé : étude comparative du § 112 Handelsgesetzbuch (HGB) et de la jurisprudence française

Résumé : Le § 112 du Code de commerce allemand instaure une obligation de non-concurrence à l’égard des associés, afin de protéger la société. Tandis qu’en Allemagne, le devoir général de loyauté interdit à l’associé de concurrencer la société, le système français n’y voit pas toujours une atteinte. En effet, l’associé français, autorisé à concurrencer la société, ne doit s’abstenir que d’actes de concurrence déloyale. Toutefois, afin d’aménager la législation allemande ou pour renforcer la sécurité des sociétés en France, des aménagements contractuels peuvent être mis en place.

 

Introduction:

Au sein des sociétés de personnes, l’obligation de non-concurrence permet de protéger les informations les plus confidentielles tels que les secrets commerciaux et industriels ainsi que le savoir-faire de la société. Mais elle permet surtout, d’assurer la loyauté des associés envers l'entreprise, en interdisant aux associés d’entreprendre toute activité concurrente à la société. Ainsi, cette obligation, d’importance fondamentale pour le maintien de la société, démontre le conflit entre, d’une part, les intérêts économiques de la société et, d’autre part, le principe de libre concurrence. 

Au préalable, il est opportun de remarquer que contrairement au droit français qui n’est que jurisprudentiel en la matière, le droit allemand propose une législation complète : le § 112 du Code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch, ci-après « HGB ») qui réglemente l’obligation de non-concurrence et le § 113 HGB qui prévoit les sanctions en cas de non-respect de celle-ci.  

L’obligation de non-concurrence peut être imposable à plusieurs échelles au sein de la société. En effet, elle peut être imposée aux salariés, aux associés ou même à la société et son cocontractant. L’obligation de non-concurrence des salariés, prévue par le code du travail et qui ne sera pas traitée ici, ainsi que l’obligation de non-concurrence des associés, ont pour fondement, en droit français et allemand, le devoir de loyauté. 

Par principe, un associé ne peut entreprendre une activité identique à celle qu’il poursuit au sein de la société. Si en droit français, la doctrine a longtemps débattu sur la validité de ce principe (Cass. com. 6 mai 1991, n° 89-13780 ; Cass. com. 26 novembre 1996, n° 94-15403 ; Cass. com. 3 décembre 2002, n°99-21758 ; Cass. com 15 novembre 2011, n° 10-15049), le droit allemand lui a conféré une valeur législative. En effet, le § 112 al. 1 HGB énonce que l’associé d’une société, ne peut, sans le consentement des autres associés, se livrer à une activité du même secteur que la société ou s’engager dans une autre société similaire et concurrente. L’alinéa 2, qui règle la question du consentement, énonce que « le consentement à participer à une autre société est réputé avoir été accordé, si les autres associés sont informés, dès la création de la société, que l'actionnaire en question participe à une autre société en tant qu’associé personnellement responsable, et n'exigent pas expressément l'arrêt de cette participation ».

Toutefois, en France, il n’existe pas d’obligation de non-concurrence de plein droit à l’égard de la société dont les associés sont membres, seuls les actes de concurrence déloyale sont interdits. Ainsi, cet article propose d’étudier, dans une perspective comparatiste, les régimes juridiques allemand et français en la matière: sur quels fondements juridiques les deux droits mettent-ils en place cette obligation de non-concurrence pour les associés d’une société et quelles alternatives y a-t-il respectivement dans les deux droits ?  

Il convient, dans un premier temps, d’examiner les critères d’application de l’obligation de non-concurrence (I), avant de déterminer l’étendue de celle-ci (II). 

 

I. Les critères d’application de l’obligation de non-concurrence

En France et en Allemagne, l’obligation de non-concurrence s’applique différemmentselon qu’une personne ait ou non la qualité d’associé (A), mais également selon le type de société dans laquelle elle se trouve (B). 
 

A. La qualité d’associé

A l’instar du droit français, l’obligation de non-concurrence appliquée aux associés, se réfère, dans la législation allemande, au devoir de loyauté. Ainsi, le §112 HGB met en évidence le devoir des associés de ne pas porter préjudice aux intérêts de la société. En effet, si les associés étaient libres de concurrencer la société à leur guise, ils risqueraient d’abuser de leur influence et de leur accès aux informations de la société, dans leur intérêt personnel. C’est pourquoi l’article a pour but de remédier à un tel conflit d’intérêts. 
De surcroît, la législation allemande, inspirée par la « corporate opportunities doctrine » américaine, a instauré sa théorie dite des opportunités commerciales (Geschäftschancenlehre), qui impose notamment aux associés-gérants desaisir, voire de provoquerles opportunités qui bénéficient à la société.
Ainsi, l’associé personnellement responsable, de par sa seule qualité, a le devoir de de ne pas concurrencer la société, afin de ne pas porter atteinte à l’intégrité de celle-ci.

Le droit français, quant à lui, exclusivement jurisprudentiel en la matière, ne connaît pas de principe général de non-concurrence attaché à la qualité d’associé. Si autrefois la Cour de cassation considérait que l’activité concurrente à la société effectuée par un associé était contraire à l’affectio societatiset constituait un manquement au devoir de loyauté, cette opinion est aujourd’hui inversée. En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation, a confirmé dans un arrêt du 19 mars 2013, que « sauf stipulation contraire, l’associé d’une SARL n’est pas, en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société » (Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.407). Par conséquent, le devoir de loyauté de l’associé français d’une société à responsabilité limitée (SARL) ne lui interdit pas d'entreprendre une activité concurrente. Dans les faits de l’arrêt cité ci-dessus, un associé d’une SARL avait créé, avec un ancien sous-traitant de la société, une nouvelle société exerçant la même activité que la SARL. Celle-ci a reproché à l’associé un manquement à son devoir de loyauté. La Cour de cassation, confirmant la Cour d’appel, énonce que lorsqu’aucune clause de non-concurrence n’est stipulée, l’associé doit uniquement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. 

Les deux droits semblent donc partager l’idée de respect du devoir de loyauté comme fondement de l’obligation de non-concurrence. Si en Allemagne l’obligation de non-concurrence est applicableparprincipe à tous les associés, en France, la qualité d’associé en elle-même n’exige qu’une abstention de concurrence déloyale. 

 

B. Le type de société et la place de l’associé au sein de celle-ci

Si tous les associés sont liés par l’obligation de non-concurrence en vertu du devoir de loyauté, le § 112 HGB met en place une obligation de non-concurrence expresse pour des associés de certains types de sociétés. Tout comme en droit français, dans certaines formes de sociétés, l'exercice par un associé d'une activité concurrente est expressément interdit.

Tout d’abord, cette interdiction vaut pour la société en nom collectif allemande (Offene Handelsgesellschaft, OHG), dans laquellel’associé est responsable de la gestion des affaires de la société et du développement de celle-ci. Ainsi,une forte confiance mutuelle est nécessaire entre les associés, dès lors que chacun d'entre eux exerce une influence notable sur la société, du fait de leurpouvoir de gestion et de représentation. Par ailleurs, les associés d’une telle société sont personnellement responsables des dettes sociales de la société. Ainsi, en cas de conflit d'intérêts, le § 112 HGB fait primer l'intérêt social et interdit à l’associé personnellement responsable toute activité concurrentielle. 

De par le § 161 al. 2 HGB, l’obligation de non-concurrence du § 112 HGB s’applique également aux commandités d’une société en commandite allemande (Kommanditgesellschaft, KG), alors que les commanditaires en sont expressément exclus (§ 165 HGB).

De la même manière, en droit français, les associés de certaines formes de sociétés se voient exceptionnellement imposer une obligation de non-concurrence d’origine légale. Tel est le cas pour les associés de sociétés civiles professionnelles (loi n°66-879, 29 nov. 1966, art. 4), de l’associé apporteur en industrie pendant le temps de sa participation à la société (article 1843-3 al. 6 du Code civil) ou encore de certains associés de sociétés d’exercice libéral (loi n°90-1258, 31 déc. 1990, art.21). 
Par ailleurs, lorsque l’associé cumule plusieurs fonctions, s’il est notamment salarié de la société en plus d’être associé, la libre concurrence ne lui sera pas applicable. Il ne pourra donc pas concurrencer la société en étant salarié ou associé d’une entreprise concurrente, étant donné que son devoir de loyauté, issu de son rôle d’associé, le lui en empêche. 

Au sein de sociétés à responsabilité limitée, françaises ou allemandes (SARL en France, GmbH en Allemagne), aucune obligation légale n’est prévue. Toutefois, si l’associé exerce une influence considérable sur la gestion de la société, ce dernier a, ratione legis, une obligation de non-concurrence (V. Cass. com., 5 oct. 2004 : D. 2005, pan. p. 2455, obs. Y. Picod). Ce même principe peut également s'appliquer au commanditaire d’une société en commandite allemande (cf. supra), s’il occupe en réalité une position similaire au commandité et qu'au lieu de n’être qu'un fournisseur de fonds, il détient également une influence significative sur la direction de l’entreprise. Il apparaît donc que le facteur décisif est le rôle réel de l’associé dans les relations internes de la société, et non sa position formelle au sein de celle-ci. 

 

II. L’étendue de l’obligation de non-concurrence 

En Allemagne, l'obligation de non-concurrence dispose d'un très large champ d'application, contrairement au droit français qui n’a qu’une seule limite (A). Celui-ci peut être restreint ou étendu, notamment par des clauses supplémentaires de non-concurrence qui, en France, servent à pallier l'absence générale d'obligation de non-concurrence (B). 

 

A. Le champ d’application de l’obligation de non-concurrence

La doctrine allemande a interprété le § 112 al. 1 HGB afin que sa mise en application soit la plus précise possible. Ainsi, lorsque le § 112 HGB dispose qu’il est interdit pour l’associé de créer sa propre société dans le même secteur d’activité, ceci signifie que l’associé n’a pas le droit, pour son compte ou celui d’un autre, d’ériger une société qui a le même objet social que la société dans laquelle il est associé. L’objet social comprend l’objet social réel et l’objet social écrit dans les statuts (même s’il n’est pas complètement exploité), sous réserve changements implicites.

A l’opposé, en France, l’associé est autorisé à concurrencer la société. Le principe en droit français étant celui de la liberté du commerce et de l'industrie (principe issu du décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791), l’associé a donc le droit de participer à une société concurrente ou même d’en créer une lui-même. Ainsi, l’objet social semble insignifiant pour l’associé français désireux de concurrencer la société. Même si l’objet social de la société concurrente était identique à la société concurrencée, l’associé ne se verrait pas moins empêché de la créer ou d’y participer. 

Enfin, l’alinéa 1 du § 112 HGB énonce le cas du consentement des autres associés qui autorisent l’activité concurrentielle de l’associé concerné. La doctrine dominante est d’avis que la validité du consentement des associés ne requiert pas nécessairement une résolution (écrite) de ces derniers. Aucune forme spécifique n'est imposée. Toutefois, une acceptation tacite de l’activité concurrentielle ne vaut pas comme consentement. En l'absence de réserve, le consentement est en principe irrévocable au plus tard après le début de l'activité concurrentielle de l’associé. Dans le cas de l’alinéa 2, le consentement est donné si tous les autres associés, au moment où ils intègrent la société, connaissent la participation en tant qu’associé personnellement responsable d’un des associés dans une société concurrente et qu’ils n’ont pas explicitement demandé l’abandon d’une telle participation. 
Le droit français ne connaît pas une telle limite puisque la concurrence est libre. Les autres associés ne peuvent empêcher l’associé de concurrencer la société et l’associé, lorsqu'il entreprend une activité concurrente, n’est pas même tenu d’en informer la société (Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15.049). Toutefois, la seule limite qui se pose en droit français est la déloyauté (Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.407 (pour une SARL) ; Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-23.888 (pour une SAS) ; Cass. com., 26 nov. 1996 (pour une SA) ; Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-25.237 (pour une SNC)). Dès lors, la seule limite est l’interdiction de concurrence déloyale, qui se caractérise, par exemple, par des détournements de la clientèle de la société concurrencée et qui serait donc contraire au devoir de loyauté. 

Même si la solution semble entièrement intégrée en droit français, une partie de la doctrine défend une position contre la généralisation du principe de libre concurrence, en soutenant que l’associé, qui aurait son esprit occupé dans une autre entreprise, serait « contre-productif pour ne pas dire désastreux (paralysie des investissements ; risques de désengagement de la société concurrencée) » (LSJA n°18-19, 2 Mai 2013, 1258, note R. Mortier).

Ainsi, afin d’exclure tout acte de concurrence par un associé de la société, les droit français et allemand ont mis en place la possibilité de stipuler une clause de non-concurrence. 

 

B. Les aménagements de l’obligation de non-concurrence 

L’obligation de non-concurrence peut, en droit allemand, être aménagée. En effet, l’obligation du § 112 HGB peut être renforcée individuellement ou pour tous les associés. Il y a toutefois deux limites : le § 138 du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch), qui dispose qu’un contrat doit être effectué selon les bonnes mœurs, ainsi que l’article 12 de la loi fondamentale allemande (Grundgesetz) qui garantit la liberté de travailler.
Inversement, les associés peuvent être exemptés de l’obligation de non-concurrence. Dans ce cas, le § 112 et a fortiorile § 113 HGB, qui prévoit les sanctions en cas de violation, ne sont pas applicables.

De surcroît, lorsque les obligations légales ne suffisent pas, ou qu’elles sont inexistantes, comme cela peut être le cas en France, des clauses de non-concurrence contractuelles peuvent être mises en place. Elles sont insérées dans les statuts (lors de la constitution de la société ou au cours de la vie sociale) ou dans un convention extrastatutaire. Celles-ci peuvent s’appliquer à tous les associés, quel que soit leur poste ou leur influence et peuvent même être convenues pour la période suivant la sortie de la société, qu’on appelle la clause de non-concurrence post-contractuelle (CA Nîmes, 4e ch. com., 18 mai 2017, n° 16/05064).

La jurisprudence française énonce que, pour être valable,la clause doit avoir un objet précis, être limitée dans le temps et dans l’espace et être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de la société ainsi qu'au droit du débiteur d’exercer une activité professionnelle (Cass. com., 17 févr. 1982, n° 80-11.961). Lorsque le débiteur de l’obligation cumule lesqualités de salarié et d'associé, une contrepartie financière s’impose (Cass. com., 15 mars 2011, n° 10-13.824). Le droit allemand, proche du droit français sur ces points, précise encore que les clauses ne doivent pas violer les bonnes mœurs et doivent pouvoir résister à un « contrôle des conditions générales » (AGB-Kontrolle). 
Ainsi, ces clauses contractuelles procurent une plus grande sécurité juridique pour tous les membres de l’entreprise.  

 

 

Bibliographie : 

Droit français : 

Réglementation :

- Loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles
- Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales
- Article 1843-3 al.6 du Code civil

Ouvrages et doctrine :

- Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy, Droit des sociétés, 2018, 31ème édition, Lexis Nexis
- Jacques Mestre, Marie-Ève Pancrazi, Isabelle Grossi, Laure Merland, Nancy Tagliarino-Vignal, Droit commercial, tome 1, 2016, 30ème édition, LGDJ 
- Pierre-Dominique Cervetti, « La concurrence de l'associé », Contrats Concurrence Consommation n° 1, Janvier 2014, étude 2 
- Laure Nurit-Pontier, « Devoir de loyauté », JurisClasseur sociétés traité, Fascicule n°45-10, 24 mai 2017
- Alexandre Paulin, « Société en nom collectif », JurisClasseur société traité, Fascicule n°59-10, 3 septembre 2017
- Michel Storck, « Société à responsabilité limitée », JurisClasseur société traité, Fascicule n°72-10, 7 juin 2017

 

Droit allemand :

Réglementation :

- §§ 112, 113, 161, 165 Handelsgesetzbuch
- § 138 Bürgerliches Gesetzbuch 

Ouvrages et doctrine : 

- MüKoHGB/Langhein, 4. Aufl. 2016, HGB § 112
- Baumbach/Hopt/Roth, 38. Aufl. 2018, HGB § 112 Rn. 1-17
- BeckOK HGB/Klimke, 22. Ed. 15.10.2018, HGB § 112 Rn. 1-38