Retour sur une exposition par des femmes, sur des femmes. Une exposition qui a montré... des Sexes et des Femmes !

« Visibiliser l’indicible, remuer les trous noirs de nos consciences, exciser la gêne, rapprocher les genres, exterminer les limites »

Vous avez là les pierres angulaires de ce projet, bien aiguisées, et prêtes à tailler dans le vif du sujet : le sexisme, les violences sexuelles, le viol, l'instrumentalisation du corps féminin, la transophobie, les violences gynécologiques, l'objectivation et la sexualisation de la femme. Des sujets profonds à combattre, défendus par un réel militantisme féministe prônant l'empowerment. Elles ont voulu parler de ça – autour de tables-rondes et d'ateliers – et voulu dessiner, peindre, sculpter, photographier cela. Mais pas que! Il n'était pas seulement question de ces sombres réalités, mais bien aussi de magnifiques images, trop peu montrées, trop peu observées, partagées et expliquées aux femmes et aux hommes : celles des sexes féminins, avec leurs différentes formes, leurs différentes tailles et couleurs. Cet arc-en-ciel vaginal était beau et osé. Une beauté que nous n'avions encore jamais vue d'aussi près.

Grâce aux œuvres de ces 17 artistes femmes, il nous a été possible de voir ce que l'on « doit cacher », ce que personne ne nous montre, ce sur quoi on parle sans le nommer, ce « truc en bas », ce « V word  », prononcé 128 fois dans la magnifique pièce de théâtre écrite par Eve Ensler* : VAGIN. Mais pas que ! On peut vouloir être femme (c'est si beau de l'être!) sans être né.ée telle, et vouloir être homme (évidemment!) sans n'avoir été nommé.ée comme tel. L'intersexuation et les transidentités sont aussi trop souvent indicibles, ignorées, refoulées et violentées. Ici, on en parle, et on le montre ! Et c'était beau.

Trève d'exclamations, suivez-nous dans cet univers et projetez-vous dans cet espace (safe!) de l'exposition collective « Des Sexes et des Femmes » au 59 rue de Rivoli.

 

La rue est (très) passante, et tant mieux. On ne peut pas le rater, ce numéro de la rue de Rivoli. Si les devantures sont toutes très aguichantes – rue commerciale par excellence, avec ses mannequins anorexiques et faussement parfaits – celle du numéro 59 est débordante, rampante et impressionnante. Elle stoppe pendant un instant la consommation effrénée des passants.es et fait partie du parcours des touristes errant naturellement dans 1er arrondissement de Paris. Ainsi, la visibilité est parfaite ! Au rez-de-chaussé, entrée sur rue, l'exposition atteint son objectif. Les publics sont très différents : entre touristes, parisiens.iennes consommateurs.rices, amateurs.rices du lieu, femmes très intéressées par ces sujets et militantes averties par l'exposition. Avoir monté ce projet dans un espace si public est une réussite en soi. Fini les micro-expositions dans des cercles concernés, seulement dans les Maisons des Femmes, pour le 8 mars et j'en passe ! Le projet se voit, se visite gratuitement – heureusement que la frontière pécuniaire n'était pas là, déjà que la frontière symbolique du 1er arrondissement est assez grande ! - et prend tout son sens dans une démarche d'empowerment : (re)prendre notre puissance, nos voix, nos corps.



Sur deux étages et murs blancs, divisé par un escalier en fer, le lieu est aéré et l'exposition investit l'espace de telle sorte que les œuvres peuvent être considérées de loin – comme un tout, mais aussi de près – de manière plus intimiste, le nez et les yeux collés aux séries de photographies des vagins de Louise A. Depaume ou encore d'Olga Laz. Tous les supports se mélangent et traduisent, de fait, une diversité des regards artistes. Le médium de la photo est notamment utilisé de différentes manières. 

                            Romy Alizée                                                               Louise A. Depaume

Chez Romy Alizée, ce sont les portraits en noir et blanc de Sarah, Viktoria et Rebecca qui nous attirent. Elles posent, puissantes, nues ou avec des accessoires en latex, défiant l'objectif du regard, tandis que la série « MontS de Vénus » d'Olga Laz est expressivement cadrée sur les sexes féminins, par un jeu de successions, de mouvements, de fonds colorés ou drapés, donnant pour résultat une belle mise en scène comic/que. Dans le même registre, Louise Dumont utilise les corps et le tissu, pour les entrelacer et les rendre floral, tels des coquelicots. Chez Mila Nijinsky, les corps s'entrelacent et se superposent aussi, nous donnant à voir un panel de couleurs et de formes propres à la diversité des sexes féminins.

                Louise Dumont                             Les coquelicots - Louise Dumont                             Mila Nijinsky      
 
Côtés peintures et dessins, ce sont les œuvres de Tamina Beausoleil qui nous ont touché, avec ce travail de juxtaposition dans une même image, un corps humain fléché telle une planche anatomique et une représentation animale, créant un flux de formes et de couleurs qui joue avec la transparence de l'aquarelle et les traits noirs des contours. De différents formats, ses œuvres illuminaient les murs du rez-de-chaussé et attiraient l’œil des passants.es. Ces dessins nous inviteraient même à sourire, en pensant  : tiens une moule entre-ouverte, un poulpe, un escargot, c'est marrant comme ça se superpose avec ce corps ! « La fascination », c'est le titre d'une de ces œuvres, et c'est bien choisi ! 

       
               La fascination - Tamina Beausoleil                                 Femme sauvage n°40 - Tamina Beausoleil                       

Les femmes sont également sauvages chez Juliet.te Drouar et sont peintes à l'huile dans un tourbillon de couleurs bleues et rouges. « There is a beast inside of me » (Il y a une bête à l'intérieur de moi) est une toile pleine de puissance, une puissance, un empowerment défendu par cette artiste et art-thérapeute à l'origine de cette exposition collective. 


                                                                                       There is a beast inside of me, Juliet.te Drouar

Pour continuer, c'est le travail de Cassie Raptor qui nous a passionné, avec sa série « Rorschattes » de peintures à l'encre acrylique et aquarelle, telles des papillons aux couleurs liquides et mouvantes.

                                                                    
                                                        Série Rorschattes                                     Adriana, Cassie Raptor

Dans son autre série en noir et blanc « Black cat white cat », Cassie Raptor – illustratrice, artiste vidéo et aussi DJ – joue ici à représenter différentes formes de vulves à l'encre acrylique, à l'encre de Chine et au feutre sur papier noir. Le résultat est fin et délicat, intime.

                               
                                                                                    Série Black cat and white cat

Ces travaux précédemment décrits sont de formats assez petits – dans cette esprit intimiste, mais Cassie Raptor s'exprime aussi sur un format plus grand, comme avec Conversation nocturne, dessin à l'encre acrylique orangée sur papier noir, toujours dans l'art des traits fins et du pointillisme.

                                               
                                                                           Conversations nocturnes, Cassie Raptor                  

Continuons dans l'art du détail et de la finesse avec les incroyables dessins à l'encre de Nathalie Tacheau. Profonds et envoûtant, « Percée » et « Quelque chose en soi » sont le résultat d'une gestuelle méticuleuse, de tourbillons d'encre qui nous donnent le tournis.

                                           
                                                        Percée - Nathalie Tacheau                      Quelque chose en soi - Nathalie Tacheau

Noirs, mais aussi rouges, les dessins de Rita Lenoir jouent également avec les formes, les échelles et la fantaisie. Une femme joue à se mettre du rouge à lèvres autour de ses lèvres inférieures, une autre tricote un pénis avec du fil rouge, une autre dessine son clitoris sur un mur, toujours armée de son rouge à lèvre. Rita Lenoir veut inviter, selon ses propres mots, le spectateur à « observer comme à travers le trou d'une serrure, les petits gestes quotidiens, habitudes curieuses, un peu de cette "sorcellerie" féminine. »

                                  

                                     

Pour finir dans la catégorie dessins, laissez-vous porter par les traits fins d'Anne Mathurin et Rose Pialat qui jouent avec les formes. Pour la première, le vagin est accueillant, protecteur et indispensable, où des oiseaux viennent s'y recueillir – ou chatouiller le clitoris ? – c'est un nid. La poésie de l'artiste se retrouve dans sa technique : le dessin est fin, détaillé et réaliste à la fois. De son côté, Rose Pialat veut nous montrer que le vagin est partout. Non, nous ne sommes pas entourées seulement de formes phalliques ! Il faut réussir à adapter son œil et nous pourrons voir, avec plaisir, des formes vaginales PARTOUT aussi : dans des aubergines, des figues, des tomates et aussi au fond de la gorge !

                                                                                  
                                                                      
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Et y-avait-il aussi des créations plastiques ?
Aussi ! Celles d'Isa Kaos nous ont bien intrigué. C'était sûrement recherché, et donc réussi ! Des billets de banque de diverses devises sont assemblés et relié par une chaine serpent dorée prennent la forme d'un string suspendu dans un coffre en bois doré à la feuille. L'argent, le sexe ? Le métier de travailleuses.eurs du sexe ? Ou bien la commercialisation autour du sexe de la femme ? La valeur « économique » du vagin ? Que se cache-t-il dans cette boîte ? Que veut-elle montrer ? C'était à nous, et ici à vous, de faire notre/votre propre analyse. C'est bien cela qui est réussi dans cette exposition : on ne ressortait pas insensible et indemne de ce que nous avions vu. Cette exposition a su procurer aux visiteuses.eurs de multiples émotions et réactions, mais surtout un sentiment de multitude et de complexité. L'exposition était complète en soi. Pleine de représentations diverses des Sexes et des Femmes, c'était réussi !

                                                                
                                                                           Bankable, de la série "Les Masques à Foufounes", Isa Kaos

Au-delà de l'exposition, il y avait aussi des tables-rondes aux thématiques très intéressantes autour des corps, gorgées de problématiques féministes et politiquement importantes à aborder aujourd'hui, comme l'inceste et le viol, l'intersexuation et les transidentités, les mutilations génitales et la reconstruction qui s'en suit, le sexisme en médecine et les violences gynécologiques et obstétricales. Des ateliers participatifs étaient également organisés, avec notamment un atelier d'auto-gynécologie afin de se réapproprier son corps et les savoirs en santé sexuelle et reproductive. Juliette Drouart, en tant qu'art-thérapeute, a également animé un atelier intitulé « Dessine ton sexe », pour « parler et partager avec bienveillance le 'en nous' qui est maintenant 'devant nous' sur le papier ». L'idée était ainsi de « dessiner un endroit de soi qu'on connaît si peu », de se familiariser avec son intimité pour apprivoiser nos peurs et nos désirs. Un dernier atelier était consacré à la sexualité. Animé par Le Cabinet de Curiosité Féminine, la parole était libérée sur les thèmes des orgasmes et des plaisirs. L'idée était ainsi de pouvoir « parler des mythes qui entourent la sexualité, pour les déconstruire ».

Pour finir, la projection du film Empower, Perspectives de Travailleuses du sexe, réalisé par Marianne Chargois fut un réel succès [« il y avait beaucoup de personnes sur liste d'attente pour les différents événements, ça nous a surprises et fait évidemment plaisir de voir que beaucoup de personnes voulaient participer et étaient intéressées » nous confit Juliette Drouart]. Ce film est en effet un « plaidoyer pour le droit des minorités » qui retrace les portraits de trois travailleuses du sexe aux parcours hétéroclites, luttant toutes pour l'accès à leurs droits en tant que travailleuses.

                                                                                     

Une exposition collective complète donc, abordant des thématiques multiples par le biais de regards artistiques divers, mais des objectifs politiques communs : se réapproprier notre puissance, réaffirmer notre pouvoir, défendre nos libertés, profiter de notre sexualité et montrer les images de nos corps multiples, en tant que Femme(s).
* Il est bien-sûr question ici de la pièce de théâtre Les Monologues du vagin, créée en 1996 par l'américaine Eve Ensler.