La rétention de sûreté : quand le droit français adopte une institution allemande, par Ludmilla Bouchez
Depuis son introduction en 1933, la rétention de sûreté est en Allemagne la mesure pénale la plus controversée. Le 17 décembre 2009, les juges de Strasbourg faisaient droit à la requête de monsieur Mücke, qui remettait en cause sa compatibilité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et condamnaient l’Allemagne pour violations des articles 5 §1 et 7 §1. Alors que l’Allemagne se pose la question de supprimer la rétention de sûreté, la France vient récemment de l’introduire dans son système juridique (Johannes Kern, Brauchen wir die Sicherungsverwahrung, Europäische Hoschulschriften, Peter Lang, Frankfurt am Main, 1997). Dans quelle mesure la rétention de sûreté instaurée en France a-t-elle tiré les enseignements de l’expérience allemande ?
La rétention de sûreté est une mesure pénale permettant d’enfermer un criminel ayant déjà purgé sa peine pour éviter la commission de récidives. L’individu en question a effectué la peine relative à l’infraction qu’il a commise mais peut tout de même être privé de sa liberté. Cette mesure privative de liberté n’est pas liée à la faute mais bien au danger que représente l’individu pour la société. La rétention de sûreté est en effet rattachée à la commission d’infractions « potentielles », « éventuelles » (Mayaud Yves, Commentaire de la décision n°2008-562 DC, Cahiers du Conseil constitutionnel, n°24, 2008. , pp. 1359 et s.°). Il s’agit d’un enferment préventif lié à une finalité d’ordre public.
Lors de la présentation du projet de Loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, introduisant un article 706-53-13 dans le Code de procédure pénale instituant la possibilité d'une rétention de sûreté par Rachida Dati devant le Parlement, les débats furent houleux et passionnés.
A l’issue des discussions parlementaires, Rachida Dati déclarait : « Cette loi n’empêchera pas la commission de nouveaux crimes, ce serait illusoire de le croire, mais ce qui est certain, c’est que le gouvernement et votre assemblée auront tout fait pour prévenir de nouveaux drames » (Emmanuelle Cosse, Regards n°49, Mars 2008).
L’on assistait en fait à l’affrontement de deux mondes. Du côté des défenseurs de la Loi, cela ressemblait à un monde qui donne envie, qui rassure. Un monde sans crimes et sans assassins, telle la fiction de Spielberg (Minority report), où le « pré-criminel » est condamné au nom du danger qu’il représente. Pour les victimes, et même pour les victimes potentielles, et pour leurs familles, le système répressif se devait de prévenir d’autres drames. Le criminel, lui n’avait pas de famille, et était d’ailleurs génétiquement comme prédéterminé à commettre un crime donc il pouvait bien rester enfermé toute sa vie (Mireille Delmas –Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, La couleur des idées, février 2010).
Du côté des contra, on réécrivait le passé. L’ancienne Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou interpellait Rachida Dati : « Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria, nourri de la philosophie des Lumières, vous choisissez Lombroso et son homme criminel. Or, vous le savez, c’est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l’Allemagne nazie. ». Robert Badinter parlait de « dérive dangereuse » et « d’heures sombres de la justice » (http://tempsreel.nouvelobs.com). De ce côté-ci, le monde ressemblait à une dictature, bafouant les principes d’un Etat de droit et les droits de l’homme. Selon ces critiques, la Loi nazie allait nous mener vers les mêmes dérives que celles du IIIème Reich. Et cela n’avait rien de rassurant.
Le Conseil constitutionnel, saisi le 11 février 2008 à la suite d’un recours déposé par plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs de l’opposition, valida la loi le 21 février. La loi fut finalement promulguée le 25 février 2008, et publiée au Journal officiel du 26 février 2008.
Ici comme Outre-Rhin, la mesure rencontre cependant toujours énormément de critiques. Selon ses détracteurs, la rétention de sûreté nierait certains principes fondamentaux du droit pénal et des droits de l’Homme, entre autres, les principes in dubio pro reo qui énonce que le doute doit profiter à l’accusé et nulla poena sine culpa qui sous-tend qu’il n’y a pas de peine sans faute. Le débat fut récemment ravivé par l’arrêt Mücke contre Allemagne rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après CEDH). Le plaignant mettant en cause la compatibilité de la rétention de sûreté avec les articles 5§1 et 7§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de L’Homme (ci-après CESDH). Loin des débats politiques, qu’en est-il vraiment ? Il convient ici de présenter successivement cette institution, en Allemagne et en France puis d’étudier la réponse de la Cour strasbourgeoise concernant sa compatibilité avec la CESDH.
La rétention de sûreté : quand l’enfermement n’est pas une peine.
En Allemagne la détention de sûreté est inscrite au § 66 du Stafgesetzbuch (Code pénal allemand, ci-après StGB). Avec l’introduction de cette article par la Loi du 24 novembre 1933 le droit pénal allemand devint zweispurig c’est-à-dire à deux voies (Zur justiziellen Handhabung der Voraussetzungen der Unterbringung gemäss §§ 63, 66 StGB, Gritt Schöneberg,2002, Dunkler und Humblot GmbH, Berlin). Cette idée est l’œuvre de Franz von Liszts, qui déjà en 1882, pensait un système de sanction à double voies. A toute infraction est donc certes rattachée une sanction : conséquence juridique de l’infraction (Rechtsfolge der Straftat) mais celle-ci peut prendre la forme soit d’une peine (Strafe), soit d’une mesure de sûreté (Massregeln der Besserung und Sicherung), soit d’une peine assortie d’une mesure de sûreté.
Depuis notamment le durcissement de ses conditions en 1969, le nombre de placement en détention de sûreté avait baissé. Sa légitimité était remise en cause (Zur justitiellen Handhabung der Vorraussetzungen der Unterbringung gemäss §§ 63, 66 StGB, Gritt Schönberger, Dunkler und Humblot, Berlin, 2002). Elle ne trouvait d’ailleurs pas d’application dans les cinq « nouveaux Land » (« die fünf neuen Bundesländer ») : le Brandebourg, la Saxe, la Thuringe, le Mecklenmbourg-Pomméranie occidentale et la Saxe-Anhalt. Elle y fut réintroduite en 1995.
L’Allemagne connut durant l’automne 1996 et le début de l’année 1997 des cas de crimes pédophiles qui émurent l’opinion publique et adopta une loi le 26 janvier 1998 pour combattre les délits sexuels et autres infractions graves (Gesetz zur Bekämpfung von Sexualdelikten und anderen gefährlichen Straftaten), qui voulait renforcer la protection de la collectivité, et donc accentuer le régime des mesures de sûreté et notamment de la Sicherungsverwahrung. Cette dernière fait donc l’objet d’un certain regain depuis 1998.
En 2007, à la suite de l'émotion suscitée par le viol du petit Enis à Roubaix par un pédophile récidiviste, le président Nicolas Sarkozy annonça son souhait de durcir la législation. La France, face à un problème identique : la récidive de criminels pédophiles, emprunta donc à sa camarade européenne la « solution » et adopta la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté qui ajouta l’article 706-53-13 au code de procédure pénale et introduit de ce fait la rétention de sûreté en droit pénal français:
« A titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration. »
Le droit pénal allemand pourrait être perçu comme moins sévère que le droit pénal français car les juridictions répressives allemandes prononcent en moyenne des peines d’enfermement moins longues qu’en France. La Cour constitutionnelle fédérale allemande affirme d’ailleurs dans une décision rendue en 1977 (Cour fédérale de justice, BGH, 8 décembre 1970, BGHSt. 24,42), que tout condamné à la prison à vie (lebenslange Freiheitsstrafe) devait se voir reconnaître la possibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle après quinze ou vingt ans de détention. Cependant la peine peut donc être suivie de ce placement en détention de sûreté. La Cour allemande affirme également que "La peine n’a pas pour objet de sanctionner la faute en soi ; elle n’est justifiée que si elle apparaît en même temps comme un moyen nécessaire pour satisfaire le but de prévention du droit pénal" (BVerfG , Cour fédérale constitutionnelle, 21 juin 1977).
La Sicherungsverwahrung s’adresse à des criminels récidivistes, des criminels d’habitude (Gewohneitsverbrecher). Selon l’article 66, §1, phrase 1, la personne doit avoir déjà été condamné deux fois pour le même fait et à chaque fois au minimum à une peine d’emprisonnement de 1 an. La rétention de sûreté à la française concerne elle, les criminels auteurs des crimes les plus graves sur mineurs de 15 ans, qui ont été condamnés à une peine supérieure ou égale à 15 ans, pour meurtre, assassinat, torture ou acte de barbarie ou viol.
Outre-Rhin, les mesures de sûreté s’attachent à prévenir le risque qui résulte de la dangerosité objective du délinquant. Et bien en France aussi. Ils doivent être particulièrement dangereux et présenter une forte probabilité à la récidive. La dangerosité criminelle sera appréciée par une évaluation scientifique. Des experts (psychiatre, psychologue) vont évaluer le risque représenté par l’individu sur la base de calcul de probabilité. Il s’agit de l’aspect de la rétention de sûreté qui est le plus décrié en France, « Après un siècle, nous voyons réapparaître le spectre de "l'homme dangereux" des positivistes italiens Lombroso et Ferri, et la conception d'un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des Etats totalitaires » (Robert Badinter, La prison après la peine, Le Monde du 28.11.07.). Dans les deux pays, c’est donc bien le diagnostic psychiatrique de la « dangerosité » rendu par des experts psychiatres qui décide du placement en détention. En France la mesure est certes demandée par des magistrats mais il paraît délicat pour un magistrat d’aller à l’encontre d’un diagnostique d’experts psychiatres, par peur de se voir rejeter la responsabilité en cas de récidive.
En Allemagne, le placement en Sicherungsverwahrung peut être quant à lui, soit décidé au moment de la condamnation soit après le prononcé du jugement. Les décisions de placement en Sicherungsverwahrung sont ordonnées par les tribunaux de l’exécution des peines, qui font partie des juridictions pénales allemandes. En France, la décision de mise en rétention de sureté est prise par un collège de trois magistrats de la Cour d’appel, qui ne constitue ni une cour, ni un tribunal mais une « Juridiction régionale ». Ils statuent sur saisine du Procureur général. La prise de décision ressemble à une décision de justice : audience contradictoire où le « condamné » est présent, assisté d’un avocat. Un recours est possible devant la Cour de Cassation. La décision de mise en rétention de sureté par la Juridiction régionale est prise pour un an ; mais elle peut, chaque année, décider de la prolonger d’un an, et ceci indéfiniment. Elle peut aussi décider d’y mettre fin, y compris de façon anticipée.
Ce qui est beaucoup décrié et crée une confusion notoire entre une autre peine privative de liberté et celle-ci est notamment le fait qu’en Allemagne le placement s’effectue dans une partie de la prison (maison d’arrêt, centre de détention) dédiée à la Sicherungsverwahrung. Il s’ensuit un problème de séparation insuffisante entre les groupes de détenus (Tillmann Bartsch, Sicherungsverwahrung-Recht, Vollzug, aktuelle Probleme, Nomos Verlagsgeselleschaft, Baden-Baden 2011).
Et chez nous ? La mesure s’effectue en Centre de rétention socio-médico-judiciaire. Ces centres sont placés sous la double tutelle du ministère de la Justice et du ministère de la Santé (Enfermé à vie ? La loi sur la rétention de sûreté, Analyse du 1er volet de la loi du 25 février 2008, Commission DLA37janvier 2010 sur http://commissiondla37.pagesperso-orange.fr/retention de surete.html). Le premier centre de rétention socio-médico-judiciaire a ouvert fin 2008. Il est installé au sein de l’Etablissement public national de santé de Fresnes. Il s’agit donc d’un enfermement en milieu carcéral. Il convient ici de préciser que la rétention de sûreté ne s’adresse pas à des personnes malades qui auraient sinon bénéficié de l’irresponsabilité pénale. Pourtant il semblerait que faute de mieux un amalgame soit fait (Enfermé à vie ? La loi sur la rétention de sûreté, Analyse du 1er volet de la loi du 25 février 2008, Commission DLA37janvier 2010 sur http://commissiondla37.pagesperso-orange.fr/retention_de_surete.html).
La mesure française a également emprunté à l’allemande sa qualification équivoque et n’est pas une « peine » : « Le Conseil constitutionnel français, dans sa décision du 21 février 2008 (nº 2008-562 DC, Journal officiel du 26 février 2008, p. 3272), a jugé que la rétention de sûreté ne repose pas sur la culpabilité de la personne condamnée mais a pour but d’empêcher les personnes de récidiver et qu’ainsi, cette mesure n’est pas une peine (§ 9 de la décision). Il a de la sorte adopté le même point de vue que la Cour constitutionnelle fédérale allemande au sujet de la détention de sûreté en droit allemand » (Mücke contre Allemagne, 12 décembre 2009, CEDH).
Une différence attire l’attention entre les deux institutions, il s’agit de la question de sa rétroactivité : « le Conseil constitutionnel français a considéré que, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, la rétention de sûreté ne saurait être appliquée rétroactivement à des personnes condamnées pour des infractions commises avant la publication de la loi. Sur ce point, sa conclusion diffère de celle de la Cour constitutionnelle fédérale allemande» (Mücke contre Allemagne, 12 décembre 2009, CEDH).
La France s’est gardée d’emprunter l’aspect de la rétention de sûreté allemande qui lui a récemment valu sa condamnation par la Cour strasbourgeoise et où était en cause son incompatibilité avec la CESDH.
La rétention de sûreté allemande, incompatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ?
Il est souvent reproché à la rétention de sûreté son aspect arbitraire. L’affaire Mücke est un exemple de risque de dérive de cette mesure au détriment du respect des droits de l’homme.
La Cour européenne des Droits de l’Homme a été amenée à se prononcer sur la compatibilité de la rétention de sûreté allemande avec la CESDH. En l’espèce était en cause la prolongation rétroactive du placement en détention de sûreté du requérant.
Le 17 novembre 1986, le tribunal régional de Marburg (Allemagne) déclare monsieur Reinhardt Mücke (ressortissant allemand) coupable de tentative de meurtre et de vol qualifié et le condamne à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Cependant « l’intéressé avait une forte propension à commettre des infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique de ses victimes. Il était à prévoir qu’il commette de nouveau des actes spontanés de violence, ce qui en faisait un individu dangereux pour la collectivité. C’est pourquoi il fallait le placer en détention de sûreté » (Mücke contre Allemagne, 12 décembre 2009, CEDH). Il est à noter que : « depuis qu’il a atteint l’âge de la responsabilité pénale, le requérant a été condamné sept fois au moins et n’a passé que quelques semaines en liberté ». Le tribunal ordonna donc son placement en détention de sûreté.
Le10 avril 2001 le tribunal régional de Marburg ordonne une nouvelle fois le placement en détention de sûreté pour la période postérieure au 8 septembre 2001, date à laquelle le requérant aurait passé dix ans en détention de sûreté mais pris également une ordonnance en vue de l’internement du requérant en hôpital psychiatrique. Le 26 octobre 2001, la cour d’appel de Francfort-sur-le-Main annule l’ordonnance prise le 9 janvier 1981 par le tribunal régional de Marburg en vue de l’internement du requérant en hôpital psychiatrique. Confirmant pour le reste la décision du tribunal régional de 2001, elle décide de ne pas surseoir avec mise à l’épreuve au placement du requérant en détention de sûreté ordonné le 17 novembre 1986, et ordonne son maintien en détention de sûreté au-delà du 8 septembre 2001, date d’expiration du délai de dix ans. Le 26 novembre 2001, le requérant forme un recours constitutionnel contre les décisions ordonnant son maintien en détention de sûreté au-delà d’un délai de dix ans. La Cour Constitutionnelle fédérale décide elle aussi de son maintien en rétention de sûreté.
En l’espèce le requérant remet en cause devant la CEDH la compatibilité de la Sicherungsverwahrung avec d’une part l’article 5 § 1:
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;(…)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;(…)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;(…) »
et d’autre part l’article 7 § 1 de la CESDH :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
Le requérant estime qu’une peine plus forte que celle applicable au moment où l’infraction a été commise lui a été infligée rétroactivement, par la décision de prolonger sa détention après qu’il ait effectué sa peine de dix ans, et ce au mépris de la deuxième phrase de l’article 7 § 1 de la CESDH.
La Cour va manifester son autonomie par rapport à la qualification interne et ne s’estime donc aucunement liée par la qualification qu’en a faite la Cour fédérale allemande (qui ne la qualifie pas de « peine »). La notion de « peine » à l’article 7 possède une portée autonome. La Cour va observer que la détention de sûreté s’effectue dans une aile de la prison, et constater son caractère punitif, allant même jusqu’à la qualifier de «punition supplémentaire». La Cour observe également que les procédures associées à l’adoption et à l’exécution des ordonnances de placement en détention de sûreté ainsi que la fixation de son exécution sont ordonnées par les juridictions de jugement, en l’espèce juridictions pénales. La Cour indique que depuis 1998, le placement en détention, ne connaît plus de limite temporelle. Elle va même le qualifier comme « l’une des mesures les plus graves-sinon la plus grave du code pénal allemand » (§ 132 de la décision). En l’espèce la Cour qualifie de « peine » la détention de sûreté et affirme ce faisant qu’elle doit respecter les principes du droit pénal tels que nullum crimen, nulla poena sine lege et le principe de la non-rétroactivité du droit pénal, décide qu’il y a bien eu violations des articles 5§1 et 7§1 de la CESDH et condamne l’Allemagne à verser 50 000 euros pour dommage moral au requérant.
Dans sa décision n°2008-562 DC du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel reconnaissait que la rétention de sûreté française ne constitue pas une sanction ayant le caractère d’une punition. Ainsi, il « ne remet pas en cause la qualification de mesure de sûreté retenue par le législateur"(http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC8/HurpyTXT.pdf). Ce faisant il admettait que la rétention de sûreté, dénuée de caractère punitif, ne soit pas soumise aux principes du droit pénal. La ligne invisible entre le pénal et le non pénal était tracée. Les détracteurs s’attendaient donc à ce que les juges de Strasbourg remettent en cause cette qualification. Ce qu’ils n’ont pas fait (§75 de la décision). Au paragraphe 78, les juges insèrent tout de même un bémol en inscrivant que le Comité des droits de l’homme des Nations unies est préoccupé par le fait que la France puisse désormais « placer des personnes condamnées pénalement en rétention de sûreté pour des périodes renouvelables d’une année, en raison de leur dangerosité à l’issue de la peine de réclusion initialement prononcée en rétention de sûreté ». Bien que Conseil constitutionnel ait interdit l’application rétroactive de cette disposition, le Comité est cependant d’avis que la pratique pourrait continuer de poser des problèmes au regard des articles 9, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (session du 7 au 25 juillet 2008 sur le rapport présenté par la France au titre de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques document CCPR/C/FRA/CO/4 du 31 juillet 2008).
Le débat sur un point de vue sociologique reste lui aussi ouvert. En effet la privation de liberté (qu’on la nomme rétention, détention, mesure restrictive de liberté) ne provoque-t-elle pas la récidive ? (Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975).
Bibliographie
-Johannes Kern, Brauchen wir die Sicherungsverwahrung, Europäische Hoschulschriften, Peter Lang, Frankfurt am Main, 1997.
-Tillmann Bartsch, Sicherungsverwahrung-Recht, Vollzug, aktuelle Probleme, Nomos Verlagsgeselleschaft, Baden-Baden 2010.
-Zur justitiellen Handhabung der Vorraussetzungen der Unterbringung gemäss §§ 63, 66 StGB, Gritt Schönberger, Dunkler und Humblot, Berlin, 2002.
-Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
-Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, La couleur des idées, février 2010.
-Emmanuelle Cosse, Regards n°49, Mars 2008
-http://tempsreel.nouvelobs.com/
-http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC8/HurpyTXT.pdf
- Robert Badinter, La prison après la peine, Le Monde du 28.11.07