La recherche d’un équilibre entre la liberté d’expression et la liberté de religion : les modèles de mise en balance français et italien et le modèle de la CEDH dans la décision I.A c/Turquie du 13 septembre 2005, par Adeline Caruso

          Dans une société pluraliste, où la diversité d’opinion est admise, certaines libertés fondamentales peuvent rentrer en conflit. C’est notamment le cas pour la liberté d’expression et la liberté de religion, le problème relevant essentiellement d’un conflit entre l’ancien et le nouveau droits. Pour résoudre ce conflit, la mise en balance entre les intérêts contradictoires de ces libertés fondamentales s’avère complexe.

 

          La liberté d’expression, mise en péril dans des évènements récents, est apparue comme une revendication contre les autorités qui en réprimaient l’exercice. Elle revêt une dimension politique, car elle est essentielle pour la démocratie et permet de formuler des critiques envers les autorités (politiques, religieuses, militaires).

         La liberté d’expression est une liberté fondamentale qui permet à tout à chacun d’exprimer ses idées librement. Par conséquent, il est possible de partager les mêmes idées, mais aussi de les critiquer. La critique d’une opinion permet un débat et une réflexion, de telle sorte qu’elle participe au progrès d’une société. Cet aspect de la liberté d’expression revêtant une certaine utilité sociale devrait donc recevoir davantage de protection. Cependant, il est également impossible de ne pas y apporter des limites car une critique trop extrême d’une idée répandue peut heurter les mentalités ou créer des conflits dans la société.

         Ainsi la liberté d’expression a pu rentrer en conflit avec d’autres libertés fondamentales, notamment la liberté de religion. En effet, historiquement quasiment toutes les sociétés ont puni les idées offensant la religion, par le délit de blasphème. Cette protection était le fruit du rapport qu’entretenaient l’Etat et la religion et était centrée sur une seule religion privilégiée, considérée par l’Etat comme une institution. Cependant, malgré la désinstitutionalisation et la sécularisation des sociétés contemporaines une interrogation subsiste : celle de savoir dans quelle mesure la liberté de religion peut justifier une limite à la liberté d’expression.

        Dans ce conflit entre deux libertés fondamentales, il est nécessaire de déterminer un modèle de mise en balance des intérêts en conflit. Pour mieux appréhender la résolution du conflit, seront étudiées les approches adoptées par les ordres juridiques français et italien et ensuite l’approche que la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) propose pour résoudre le conflit entre l’article 9, relatif à la liberté de religion et l’article 10, relatif à la liberté d’expression, de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH). Le modèle européen sera notamment étudié au regard de la décision rendue le 13 septembre 2005 par la CEDH lors de l’affaire I.A c. Turquie.

 

La modernisation des approches nationales pour la protection des droits de l’Homme : des approches convergentes mais toujours inadaptées

         Dans les ordres juridiques français et italien, la religion était considérée comme une institution, au même titre que le souverain et devait donc recevoir une protection. C’est par le délit de blasphème que la religion était protégée contre les abus de la liberté d’expression. Cette disposition pénale était principalement destinée à la protection de l’ordre public, de la paix de la Nation, ou encore de la moralité publique.

         Bien avant l’adoption de la Constitution française actuelle (4 octobre 1958), ce délit fut abrogé avec l’adoption du Code pénal napoléonien de 1810. En Italie, en revanche, même avec l’adoption de la Constitution du 1er janvier 1948, il fallut attendre jusqu’en 1999 pour que ce délit soit dépénalisé.       C’est avec l’adoption des Constitutions modernes traitant le phénomène religieux dans une logique individuelle et les réflexions relatives aux droits de l’Homme, qu’une modernisation des conceptions nationales est apparue nécessaire.

         En raison de son rapport singulier avec la religion et malgré l’adoption de la Constitution de 1948, le droit italien eut une évolution plus lente que le droit français en la matière. En effet, de 1930 à 1995 la protection était centrée sur la seule « religion d’Etat » (articles 403 à 405 et 724 Code pénal italien) en admettant toutefois une protection des « cultes admis » (article 406).

        C’est par une décision du Conseil constitutionnel italien, relative à l’article 724 du code pénal, que la protection a été élargie aux autres religions en application du principe de l’égalité des croyances (Corte Cost., 18 octobre 1995, n.440).  Le délit de blasphème fut finalement dépénalisé par le décret législatif n.507 du 30 décembre 1999 qui le transforma en une simple « infraction administrative ». Finalement, par la loi n.85 du 24 février 2006 portant réforme des délits d’opinion, toute distinction entre les religions fut supprimée et la protection fut centrée sur les « confessions religieuses ».

         Cependant, la notion de « confessions religieuses » semble plutôt floue et imprécise. Mais bien avant l’adoption de la loi de 2006, les interprétations du Conseil constitutionnel avaient pu préciser la notion, en opérant une distinction entre le « sentiment religieux collectif » (Corte Cost. n.39/1965) et le « sentiment religieux individuel », corollaire du droit à la liberté de religion (Corte Cost. n.440/1995).

       Le droit italien protège principalement le « sentiment religieux collectif » qui fut défini dans la décision n.440 de 1995 précitée comme « le sentiment religieux d’une pluralité de croyants qui se reconnaissent dans une confession religieuse déterminée ».

       Ainsi la protection de l’ordre public reste primordiale et se fait par l’intermédiaire des croyants, en tant qu’individus. Mais ce concept exclut de par sa formulation les croyances qui ne sont pas religieuses, il n’y a pas de protection du sentiment religieux dit « négatif ». Il y a donc une distinction implicite, entre les croyances religieuses et les croyances non-religieuses.

      La législation actuelle italienne n’a malheureusement pas reçu beaucoup d’applications concrètes, mais il est possible de voir que la jurisprudence adhère progressivement aux critères « atténuants » élaborés par la CEDH pour déterminer « l’offense admissible ». De part ces critères, il est plus difficile de limiter la liberté d’expression, pour protéger le droit à la liberté de religion. Par exemple, des vignettes satiriques qui sont « l’expression d’une pensée critique diffuse dans la pensée commune » et qui restent dans le cadre d’un débat public ne peuvent constituer une offense (Trib. Latina, 24 octobre 2006, n.1725).

           

     En droit français, la législation ne protège pas les « confessions religieuses » comme en droit italien. En effet, l’approche française de la protection de la religion, réside principalement dans la loi protégeant la liberté d’expression qui fut une étape cruciale dans le processus de laïcisation de la législation française.

     Ainsi la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est applicable en la matière (articles 24, 32 et 33) ainsi que certaines dispositions du code pénal qui la complètent (articles R.624-2 et R.624-3) lorsque l'injure, la diffamation ou l'incitation à la haine ou à la violence religieuses ne sont pas publiques. La protection reste centrée sur la réputation, l'honneur et l'ordre public.

      Aucune protection de la religion dans sa dimension collective n’est présente, ce sont les « croyances », quelles qu'elles soient, qui sont protégées indirectement, par la protection des individus (art. 1, Constitution, 4 octobre 1958). La législation française diverge sur ce point de la législation italienne qui quant à elle exclut la protection des croyances non-religieuses.

      Malgré une réticence à aborder la religion dans sa dimension collective, la législation française utilise le critère de « l’appartenance » d’un individu, en relation avec un groupe, pour déterminer l’offense religieuse. Ce mécanisme de protection de l’identité collective est renforcé par la légitimité accordée aux associations religieuses d’agir en justice.

        A l’inverse du droit italien, le droit français a reçu une jurisprudence abondante. Pour déterminer la nature injurieuse ou diffamatoire d’une opinion envers une croyance, la jurisprudence utilise la distinction des modalités : l'offense aux personnes pour leur religion et celle sur le contenu d’une religion ; la distinction entre l’opinion « gratuitement offensante » et la présence d’un débat public ; ainsi que la capacité du message à être diffusé et le consentement des destinataires à s’exposer à l’offense.

     La première distinction semble pouvoir provoquer des confusions car les deux offenses sont difficilement dissociables. Cette difficulté a pu trouver une illustration avec l'opinion de l’écrivain Houellebecq, sur la religion musulmane, lors d’une interview, qui sera jugée comme une injure envers les croyants (TGI, ch. corr. 22 octobre 2002).

        Pour déterminer si l’offense est admissible les juges vont évaluer si l'opinion est « gratuitement offensante » ou non. Une opinion « gratuitement offensante » est une fin en soi et ne correspond à aucun débat public et doit être condamnée. L’existence d’un débat public sera donc le critère déterminant qui conduira les juges à ne pas retenir l’injure pour une parodie religieuse (Cass., ch.crim., 14 février 2006). Ainsi, ce critère ne rendrait plus une opinion « gratuitement offensante » et permettrait de justifier le droit à la satire (TGI Paris, 17ème ch. 22 mars 2007, Affaire Charlie Hebdo) qui rentre, comme l’avait précisé la CEDH, dans l’affaire Handyside, dans la catégorie des opinions qui « offensent, choquent ou inquiètent » mais qui font partie intégrante de la liberté d’expression. Bien entendu, les juges ont dû également procéder à un examen du contenu pour évaluer les potentielles personnes destinataires de l’offense.

         Lorsque que l’offense est faite dans le cadre d’un débat public, cela ne la rend plus « gratuitement offensante », en revanche, sa diffusion publique peut être un critère pour déterminer la diffamation ou l’injure. C’est notamment le cas pour un film et ses affiches publicitaires, ou encore pour la publicité, car l’observateur ne peut pas donner son consentement à s'y exposer (TGI Paris, 23 octobre 1984). A l'inverse, des écrits peu diffusés ont un effet offensant atténué (journal satirique, livre) car il y a la connaissance du caractère potentiellement offensant et donc la liberté de ne pas accéder à cet écrit pour ne pas être offensé.

         Pour évaluer la gravité de l’offense les juges examinent aussi bien les modalités, que le contenu des opinions, cela explique donc les variations jurisprudentielles. Cependant, l’examen du contenu, peut remettre en cause la neutralité du jugement, puisque l’évaluation ne se fait plus seulement, en considération des personnes destinataires, mais aussi en considération de la religion en tant que telle. En effet, l’évaluation du contenu revient à évaluer l’offense faite à la religion et mènerait donc à une sorte de réintroduction du blasphème.

 

      Les législations française et italienne n’apparaissent pas totalement adaptées pour traiter les opinions potentiellement offensantes en matière religieuse, ceci malgré des tentatives de modernisation. Ces deux législations ont des objectifs convergents car elles protègent l’ordre public, la réputation et l’honneur des individus et des groupes.

         Toutefois, il est possible de déceler une incohérence en droit français. En effet, le principe de neutralité qui doit recevoir une application, ne reconnait pas les sensibilités religieuses, pourtant, le critère déterminant la protection individuelle est basé sur « l’appartenance » de l’individu à une religion déterminée

          La législation italienne quant à elle apparaît plus adaptée, mais semble trop centrée sur la protection des religions, en excluant les croyances n’ayant pas cette nature.

        Les modèles nationaux de mise en balance montrent des lacunes pour appréhender le conflit entre les deux libertés fondamentales et cherchent à les combler en utilisant des critères interprétatifs généraux. Cependant ces derniers ne sont peut-être pas totalement adaptés pour appréhender les cas concrets devant lesquels les juges peuvent être confrontés.

 

Le modèle de la CEDH : vers une harmonisation de la conception de mise en balance des deux libertés fondamentales

        En tant que juridiction internationale et au vu des difficultés rencontrées par les droits nationaux, l’approche adoptée par la CEDH sera utile pour mieux appréhender la résolution du conflit entre la liberté d'expression et la liberté de religion. En effet, cette juridiction a pu se prononcer sur des ordres juridiques ayant des rapports variés avec la religion.

         Il sera important de s'intéresser à la définition, au rôle et aux limites de la liberté d'expression, définis par la CEDH, pour mieux comprendre l'inconstance de la jurisprudence en la matière. La décision de principe, permettant de mieux appréhender la résolution du conflit fut rendue à l'occasion de l'affaire Handyside (CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, §49), dans laquelle la Cour définit la liberté d'expression comme l'un des «fondements essentiels de la démocratie» et souligna qu'elle incluait «les idées accueillies avec faveur, ou considérées (...) inoffensives ou indifférentes, mais aussi (…) celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population.».

         Toutefois, le champ de la liberté d’expression « n’exclut pas pour autant des devoirs et des responsabilités ». Ces derniers, dans le contexte des croyances religieuses, peuvent être compris comme une obligation d’éviter au maximum des « expressions gratuitement offensantes pour autrui et qui ne participent pas à un débat public». Depuis cette décision, la Cour utilise toujours ces critères, pour déterminer si l'opinion est dans les limites de « l'offense admissible » et considère que lorsqu’un « besoin social impérieux » le justifie, l'Etat doit limiter la liberté d’expression et assurer « à ceux qui professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti à l’article 9 » (CEDH, Otto Preminger Institut c. Autriche, 20 décembre 1994, §47).

          L’Etat serait donc légitimé à agir, dès que cela est nécessaire. Néanmoins cela pourrait conduire à des restrictions abusives de la liberté d’expression, dès que celui-ci considère qu’un « besoin social impérieux » justifie une restriction. Par ailleurs, une restriction abusive de la liberté d’expression pourrait conduire à un chilling effect, puisqu’en condamnant les éditeurs, l’Etat les dissuaderait de publier des œuvres « qui ne soient pas strictement conformistes, ou politiquement, ou religieusement correctes » (I.A c. Turquie, Opinion dissidente, §6).

          Dans l’affaire I.A c. Turquie (§22) la Cour ne nie pas que l’existence d’une disposition interdisant le blasphème constitue une ingérence dans le droit à la liberté d’expression garanti à l’article 10 de la CESDH. Cependant, elle va évaluer la légitimité ou la nécessité des mesures restrictives, en vérifiant l’existence d’un besoin social impérieux, proportionnel et prévu par la loi.

            Pourtant, malgré ce contrôle de légitimité, aucune disposition nationale n'a jamais été déclarée illégitime, laissant à penser que la dimension religieuse est une des limites admissibles de la liberté d’expression. Ce contrôle de légitimité est notamment opéré dans l’affaire I.A c. Turquie, (§29) où la Cour suit ce schéma, pour mettre en balance les deux libertés. Elle finira par faire prévaloir la liberté de religion, sur la liberté d’expression, en utilisant comme fondement l’article 10 § 2 relatif aux limites admissibles de la liberté d’expression et non pas l’article 9 relatif à la liberté de religion. En effet, ce dernier n’énonce aucune obligation de limiter la liberté d’expression pour protéger les sentiments religieux. Il est donc possible d’affirmer que la liberté de religion est une limite admissible à la liberté d’expression.

              Les intérêts publics (protection de l’ordre public, sécurité nationale ou intégrité territoriale) peuvent aussi justifier une restriction de la liberté d’expression (article 10§2 CESDH). L’ordre public a pu notamment être interprété selon le critère de l’offense faite envers la « religion majoritaire » (Otto Preminger & I.A c. Turquie) mais il semble inadapté à la protection du « sentiment religieux » et à la cohabitation pacifique des religions, car même s’il est statistiquement compréhensible que les offenses faites envers la religion majoritaire puissent se révéler dangereuses pour l’ordre public, cela provoquerait des discriminations dans la protection des religions minoritaires.

             En principe l’ordre public peut justifier une mesure restrictive, lorsqu’il y a une potentielle mise en péril (ex ante) et dans d’autres cas plus rares, lorsque la menace est vérifiée (ex post). Dans l’affaire I.A c. Turquie, l’ordre public est utilisé ex ante pour justifier les mesures restrictives. Dans cette logique, pour les vignettes satiriques danoises, les autorités étatiques européennes auraient dû limiter la liberté d’expression, en empêchant leur diffusion, vu la potentielle mise en péril de l’ordre public.

 

           Il apparaît évident que la Cour de Strasbourg est hésitante à appréhender les intérêts publics pouvant justifier une restriction à la liberté d’expression, car les pays du Conseil de l'Europe n'ont pas tous la même interprétation en la matière. Ainsi il n’existerait aucun concept général permettant de résoudre le conflit, c’est pourquoi la Cour s’est aussi inspirée des droits nationaux, en particulier du droit français, afin de trouver un équilibre entre les deux libertés.

           Pour appréhender les intérêts publics, la Cour utilise le critère de la marge d’appréciation, souvent déterminant dans ses décisions et laisse un pouvoir discrétionnaire ample aux Etats, sur la nécessité et la proportionnalité des mesures restrictives de la liberté d'expression. De telle sorte que ce critère est systématiquement utilisé. Cependant dans l’affaire I.A c. Turquie, l’opinion dissidente témoigne d’une certaine réticence vis-à-vis de la marge d’appréciation étatique, en prenant en compte la sévérité de la législation turque en vigueur et la faible diffusion de l’œuvre en question.

           La Cour a trois approches différentes de la marge d’appréciation : dans le cas traditionnel du blasphème ou encore du "discours religieux" (offenses des contenus, personnes ou symboles sacrés d'une religion) comme dans l’affaire I.A c/Turquie, la Cour laisse une grande marge d’appréciation et légitime la limitation de la liberté d’expression. Dans le cas du « discours sur la religion » (opinion sur la religion ou ses représentants) sous forme d'enquête scientifique, historique ou politique, la marge d'appréciation est réduite et donne lieu à des censures (Affaires Giniewski, Tatlav). Dans le cas du « discours de haine religieuse » (protection envers les religions), la CEDH a souligné la nécessité d'un modèle européen d'interventions et de sanctions. A ces distinctions, s'ajoute celle de l’offense considérée comme « gratuite » et celle liée à un débat public.

           

            Par ses prises de positions dans diverses affaires, la CEDH a démontré qu’elle jouait son rôle de protecteur des droits fondamentaux. Cependant les interprétations que la Cour a été amenée à rendre n’ont pas été aisées. En effet, la Cour a été confrontée au problème de trouver un équilibre entre les législations nationales, qui sont l’expression de la souveraineté nationale, et les dispositions de la CESDH.

            Malgré des hésitations et bien qu’elle laisse une marge d’appréciation ample aux Etats, ces interprétations ont permis d’élaborer une sorte de « faisceau d’indices » pour les juges nationaux. Ainsi, même si les législations nationales ne partagent  pas une conception absolument identique de la mise en balance entre les deux libertés fondamentales, ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas possible d’observer une certaine convergence des ordres juridiques français et italien par la voie prétorienne. En effet, il y a eu une adhésion progressive aux critères « atténuants » élaborés par la jurisprudence française et que la CEDH a fait sienne dans ses interprétations.

            De cette façon, à l’instar du modèle français, la Cour utilise le contenu, mais aussi les genres et les modalités d’expression pour déterminer si la censure est ou non acceptable. Ainsi, la liberté d'expression serait accordée, aux œuvres "dignes" d'être protégées, lorsqu’elles ont un caractère scientifique, historique, instructif (journaux ou essais) et non pas à celles dépourvues d’un de ces caractères (œuvre cinématographique, satirique ou roman).

            Le critère du débat public est déterminant et reste au cœur de l’évaluation, mais son interprétation n’est pas aisée et reste subjective. Par ailleurs, cela limiterait la liberté d’expression sur le sujet religieux, aux seuls cas scientifiques « d’utilité sociale », alors que « ceux qui manifestent librement leur religion ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à le faire à l’abri de toutes critiques (…) ou de toutes opinions hostiles à leur foi » (I.A c. Turquie, §28).

             Même confrontée à la liberté de religion, la liberté d'expression reste centrale. Cependant, il y a une volonté de ne pas l'étendre à la « liberté d'offenser ». Il existe donc un délicat équilibre entre le devoir de respecter les sensibilités religieuses d’autrui, pour une cohabitation pacifique des religions et la nécessaire liberté de parole caractérisant la nature démocratique des ordres juridiques européens.

 

Bibliographie :          

 

  • EMMANUEL DERIEUX, Droit des médias, Droit français, européen et international, L.G.D.J, 6ème édition, 2010, lextenso éditions, 1146 pages ;
  • ANNA GIANFREDA, Diritto penale e religione tra modelli nazionali e giurisprudenza di Strasburgo (Italia, Regno Unito e Francia), GIUFFRE EDITORE, 2012 ;
  • MARCO OROFINO, La libertà di espressione tra costitutizioni e carte europee dei diritti, Il dinamismo dei diritti in una società in continua trasformazione, G. GIAPPICHELLI EDITORE, 2014 ;
  • C.SALAZAR, I «destini incrociati della libertà di espressione e della libertà di religione : conflitti e sinergie attraverso il prisma del principio di laicità, Quaderni di diritto e politica ecclesiasticà, 2008 ;
  • GIOVANNI TORTORA, Dizionnario Giuridico, Italiano-Francese, Giuffrè Editore, 1994, 3ème édition ;
  • VINCENZO ZENO-ZENCOVICH, La libertà d’espressione, Media, mercato, potere nella società dell’informazione, IL MULINO EDITORE, 2004 ;

 

Textes juridiques :

 

  • Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
  • Code pénal napoléonien de 1810 ;
  • Loi sur la presse du 29 juillet 1881 ;
  • Code pénal italien de 1930 (Code Rocco) ;
  • Constitution française du 4 octobre 1958 ;
  • Constitution italienne du 1er janvier 1948 ;
  • Code pénal italien ;
  • Code pénal français ;
  • Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 ;
  • Décret législatif italien n.507 du 30 décembre 1999 ;
  • Loi italienne n° 85, du 24 février 2006 portant réforme des délits d’opinions ;

 

Jurisprudence:

 

Jurisprudence italienne :

 

  • Conseil constitutionnel italien, 18 octobre 1995, n.440 (Corte Cost., sent. n.440/1995)
  • Conseil constitutionnel italien, 1965 n.39 (Corte Cost., sent. n.39/1965) ;
  • Tribunal de Latina, 24 octobre 2006, n.1725 (Trib. Latina, 24 ottobre 2006, n.1725) ;

Jurisprudence française :

 

  • TGI, chambre correctionnelle, 22 octobre 2002 (Affaire Houellebecq) ;
  • Cour de cassation, chambre criminelle, 14 février 2006 (Affaire de la Sainte Capote) ;
  • TGI Paris, 17ème ch. 22 mars 2007 (Affaire Charlie Hedbo)
  • TGI Paris, 23 octobre 1984, sur le film « Ave Maria » ;
  • Cour de cassation, 1ère ch. civile, 14 novembre 2006 (Affaire Girbaud) ;

Jurisprudence européenne :

 

  • CEDH, Handyside c.Royaume-Uni, 7 décembre 1976 ;
  • CEDH, Otto Preminger Institut c. Austria, 20 décembre 1994;
  • CEDH, I.A. c. Turquie, 13 septembre 2005 ;
  • CEDH, Giniewski c. France, 31 janvier 2006 ;
  • CEDH, Aydin Tatlav c.Turquie, 2 mai 2006 ;

 

Liens hypertextes :

 

  • Michel Leroy, La parodie religieuse n’est pas une injure, Cour de cassation de France 14 novembre 2006 :

[http://www.rtdh.eu/pdf/2007875.pdf];

  • ALTALEX, « I nuovi reati di opinione », (Réforme italienne relative aux délits d’opinion par la loi du 24 février 2006) :

[http://www.altalex.com/index.php?idnot=10386] (01/05/2015) ;

  • FABIO BASILE, A cinque anni dalla riforma dei reati in materia di religione: un commento teorico pratico degli artt. 403, 404 e 405 c.p, (« Cinq ans après la réforme des délits d’opinion en matière religieuse : un commentaire théorique et pratique des articles 403, 404 et 405 du code pénal italien »), Mai 2011 :

[ http://www.statoechiese.it/images/stories/2011.5/basile_a_cinquem.pdf ] (01/05/2015) ;