Le régime applicable aux réfugiés LGBT au Royaume-Uni et en France : étude de l’arrêt HJ (Iran) & HT (Cameroon) v SSHD (2010) de la Cour suprême du Royaume-Uni et des arrêts du Conseil d’Etat du 27 juillet 2012

Les droits des personnes LGBT ainsi que leur acceptation sociale est aujourd’hui une des questions sociales les plus importantes. Un des éléments de ce débat est le régime applicable aux demandeurs d’asile tentant d’échapper aux persécutions fondées sur leur orientation sexuelle. Le principal texte de référence en matière de droit des réfugiés est la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, à laquelle le Royaume-Uni et la France sont parties. Bien que soumis à la même législation, le droit des réfugiés LGBT s’est développé différemment dans les deux systèmes avant de finalement aboutir à des régimes semblables qui accordent un degré de protection similaire aux demandeurs d’asile LGBT.

Deux arrêts français et un arrêt britannique illustrent les régimes applicables aux demandeurs d’asile LGBT dans les deux pays. Dans l’arrêt HJ (Iran) & HT (Cameroon) v SSHD en date de 2010[1], la Cour suprême du Royaume-Uni se prononce sur l’obligation de discrétion que la Cour d’appel avait imposé aux demandeurs d’asile LGBT pour rejeter leur demande. La Cour suprême casse l’arrêt d’appel, considérant que cette obligation constituerait, en elle-même, une forme de persécution. En outre, la Cour suprême présente un test applicable aux réfugiés LGBT qui comble le vide juridique existant en la matière. De son côté, le Conseil d’Etat, dans deux arrêts du 27 juillet 2012, renvoie les affaires devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Dans la première affaire, la CNDA n’avait pas suffisamment motivé sa reconnaissance du statut de réfugié vis-à-vis de la situation à laquelle la demanderesse ferait face dans son pays d’origine. Dans la seconde affaire, la CNDA avait commis une double erreur de droit en refusant le statut de réfugié au demandeur qui ne manifestait pas publiquement son orientation sexuelle dans un pays où l’homosexualité n’est pas sanctionnée pénalement.

L’augmentation de la protection des droits des personnes LGBT, notamment avec la Convention européenne des droits de l’Homme, soulève la question de savoir comment le droit des réfugiés LGBT s’est développé en France et au Royaume-Uni en l’absence de disposition supranationale contraignante qui protège explicitement ces personnes. Des sociétés similaires et un encadrement européen et international ont permis aux juges français et britanniques d’aboutir à des solutions similaires. Des différences importantes apparaissent néanmoins dans les raisonnements juridictionnels qui abordent d’un points de vue différents la reconnaissance des personnes LGBT comme constituant un groupe social (I), la qualification des persécutions (II) mais aussi le critère de la manifestation publique de l’orientation sexuelle (III).

I.                   La reconnaissance des personnes LGBT comme constituant à un groupe social

L’orientation sexuelle ne figure pas explicitement dans les motifs de reconnaissance du statut de réfugié consacrés par la Convention relative au statut des réfugiés. Cependant, depuis son adoption, les persécutions subies par les personnes LGBT dans certains pays sont l’objet d’une publicité accrue et de condamnations par des pays occidentaux. En conséquence, les demandeurs d’asile LGBT ont progressivement obtenu protection en tant que groupe social, en vertu de l’art. 1(A)(2) de la Convention.

Au Royaume-Uni, c’est l’arrêt Islam v Secretary of State for the Home Department; R v Immigration Appeal Tribunal, Ex p Shah en date de 1999[2] qui établit que les personnes LGBT entrent dans la catégorie des groupes sociaux. Cela a été confirmé par la règle 6(1)(e) des Refugee or Person in Need of International Protection (Qualification) Regulations 2006 qui inclut explicitement l’orientation sexuelle comme formant un groupe social. Au contraire, le droit français ne reconnait pas explicitement l’appartenance des personnes LGBT à un groupe social. Par conséquent, au Royaume-Uni, déterminer si le demandeur peut effectivement se prévaloir de son homosexualité pour obtenir l’asile ne fait pas partie du test établi par Lord Hope dans l’arrêt étudié. En revanche, en France, l’appartenance du demandeur d’asile à un groupe social protégé par l’art. 1er de la Convention doit être établie dans chaque affaire. Les Cours françaises saisies de telles affaires doivent faire appel à la directive européenne 2004/83/CE en date de 2004 et principalement de l’art. 10(1)(d) qui définit les groupes sociaux. Ceci est illustré par l’arrêt 342552 du Conseil d’Etat en date du 27 juillet 2012 (arrêt Mlle A). La reconnaissance du statut de réfugié de la demanderesse par la CNDA avait été rejetée par le Conseil d’Etat car la CNDA n’avait pas établi que l’homosexualité de la demanderesse, ressortissante mongole, la faisait appartenir à un groupe social. Pour déterminer l’appartenance à un groupe social, le Conseil d’Etat exige l’utilisation de données objectives.

Le droit français en matière de droit des réfugiés a une tendance objective et se repose principalement sur des éléments factuels alors que le droit britannique adopte une approche plus subjective en prenant en compte les craintes et perceptions des individus. Néanmoins, la directive 2004/83/CE apporte au droit français un élément de subjectivité. L’art. 10(1)(d) de la directive exige que le groupe social existe en tant que tel, c’est-à-dire que la caractéristique partagée par ce groupe, soit considérée comme « différente » au sein du pays d’origine. C’est sur ce fondement que le Conseil d’Etat renvoie l’affaire Mlle A devant la CNDA, celle-ci n’ayant pas démontré que les personnes LGBT, notamment les femmes, en l’espèce, étaient perçues comme différentes au sein de la société mongole. Alors que ce critère est essentiel en droit français, on notera que la Cour suprême du Royaume-Uni n’y fait pas référence.

Une autre critique peut être formulée à l’égard de cette exigence. Bien que les personnes LGBT en France et au Royaume-Uni ne subissent pas de persécutions par l’Etat et soient bien plus libres aujourd’hui d’exprimer leur orientation sexuelle, il existe toujours un sentiment de différence, démontré entre autres par le fait que le mariage entre personnes de même sexe n’était légal dans aucun des deux pays au moment des arrêts.

Ainsi, le principe légal et jurisprudentiel en droit britannique selon lequel les personnes LGBT constituent un groupe social semble plus proche de la réalité sociale. Cependant, le droit britannique, comme le droit français, ne reconnait pas automatiquement l’asile simplement parce qu’une personne est homosexuelle. Les deux systèmes s’intéressent aux persécutions que pourrait subir le demandeur.

II.                Les éléments objectifs et subjectifs dans la qualification des persécutions

Bien que les personnes LGBT en Europe, et notamment en France et au Royaume-Uni, soient vues comme différentes par une partie de la société, elles ne subissent pas de violences qui ne soient pas condamnées par l’Etat. Au contraire, les violences à l’égard des personnes LGBT sont considérées comme des circonstances aggravantes en France en vertu de l’art. 132-77 du Code pénal et comme un hate crime (crime de haine) au Royaume-Uni en vertu de l’art. 146 du Criminal Justice Act en date de 2003 (loi relative à la justice criminelle). Les quatre demandeurs dans les trois arrêts étudiés ne se fondent pas sur des persécutions déjà vécues dans leur pays d’origine mais sur la crainte des persécutions qu’ils pourraient subir s’ils y retournaient ou s’ils manifestaient publiquement leur orientation sexuelle. La référence aux craintes des individus dénote un élément subjectif dans la reconnaissance du statut de réfugié, bien que cela ne figure que dans l’arrêt britannique. Le Conseil d’Etat établit en effet le droit français comme ne reposant que sur des faits et des éléments objectifs.

Malgré la place accordée à l’élément subjectif, l’arrêt britannique limite l’asile aux personnes craignant des persécutions ordonnées ou soutenues par l’Etat et pas seulement des violences familiales ou sociales. La Cour suprême rejoint donc ainsi indirectement le point de vue du droit français en exigeant des informations objectives permettant d’établir la légitimité des craintes.

L’élément essentiel en droit anglais, la participation de l’Etat aux persécutions, n’est pas mobilisé par le Conseil d’Etat. Celui-ci se concentre sur le regard que la société dans le pays d’origine porte sur les personnes LGBT, accordant ainsi au droit des réfugiés LGBT une dimension sociale et non strictement juridique. Les deux systèmes se distinguent également dans leur attitude quant à la pénalisation de l’homosexualité. Le Conseil d’Etat indique dans l’arrêt n° 349824 en date du 27 juillet 2012 (arrêt M. B) que le fait que l’homosexualité ne soit pas sanctionnée pénalement en République Démocratique du Congo, dont le demandeur est ressortissant, ne fait pas obstacle à la légitimité des craintes de persécutions de ce dernier. En revanche, l’arrêt HJ constate que la pénalisation de l’homosexualité en Iran et au Cameroun, pays dont les demandeurs sont ressortissants, ne suffit pas à qualifier de légitimes les craintes de persécutions. Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt Mlle A ne relève pas le statut juridique de l’homosexualité en Mongolie et exige seulement qu’il soit fait état du traitement des personnes LGBT et, spécifiquement du traitement des femmes homosexuelles. Avec ces différences de point de vue, la charge de la preuve semble plus lourde au Royaume-Uni qu’en France puisque la crainte d’une condamnation pénale ne suffit pas pour obtenir l’asile au Royaume-Uni.

Alors que la reconnaissance de l’appartenance à un groupe social constitue une étape supplémentaire en droit français par rapport au droit britannique, ce dernier se montre bien plus exigeant quant aux persécutions. Les deux systèmes juridiques s’accordent cependant sur le fait que les demandeurs ne doivent pas nécessairement avoir manifesté publiquement leur orientation sexuelle pour obtenir l’asile.

III.             L’absence de nécessité de manifestation publique de l’orientation sexuelle

La question au cœur de l’arrêt anglais est celle de savoir si les demandeurs pouvaient raisonnablement tolérer de dissimuler leur orientation sexuelle à leur retour dans leur pays d’origine afin d’éviter les persécutions. La Cour Suprême décide finalement, en se fondant sur l’arrêt Ahmed v SSHD 2000[3] que l’agence britannique des frontières (UK Border Agency) ne peut exiger des demandeurs d’asile qu’ils dissimulent leur identité sexuelle afin de leur refuser l’asile.

Le droit français semble, sur cette question, plus clair et progressif que le droit anglais. En effet, comme Lord Hope l’exprime dès les premières lignes de l’arrêt, le droit anglais ne disposait en 2010 d’aucune ligne directrice quant au régime applicable aux réfugiés LGBT. Le Conseil d’Etat, en revanche, dans l’arrêt M. B établit clairement qu’il n’y a pas de nécessité de manifestation publique de l’orientation sexuelle du demandeur pour que le statut de réfugié lui soit accordé, s’il est établi qu’il encourrait des persécutions au retour dans son pays d’origine.

De son côté, la Cour suprême anglaise pour décider  comme elle l’a fait, s’intéresse également à la question de savoir si l’obligation de discrétion pour éviter les persécutions reconnue en appel constituerait, en elle-même, une forme de persécution. Cette décision est en accord avec la prise en compte, en droit britannique, des craintes de persécutions qui sont souvent une des raisons pour lesquelles le demandeur ne manifeste pas publiquement son orientation sexuelle. La Cour suprême en décidant ainsi met le droit britannique en conformité avec la note d’orientation du Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) sur les demandes de reconnaissance du statut de réfugié relatives à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Celle-ci, bien qu’elle ne soit pas contraignante, indique aux Etats parties à la Convention sur le statut des réfugiés que le défaut de manifestation publique de l’orientation sexuelle ne peut, à elle seule, faire échec à une demande d’asile.

Bien que les Cours françaises et britanniques aboutissent à la même conclusion sur ce sujet, elles suivent des raisonnements différents. Les juges français suivent la recommandation du HCR en excluant toute considération de la manifestation publique ou non de l’orientation sexuelle alors que la Cour suprême au Royaume-Uni rend l’interdiction de prendre une telle manifestation publique en compte obligatoire. En outre, le Conseil d’Etat se fonde sur le mode de constitution du groupe social pour déterminer que la manifestation publique de l’orientation sexuelle n’est pas nécessaire car le groupe existerait du fait des caractéristiques innées des personnes qui le forment et non de l’expression, ou non, de ces caractéristiques. La Cour suprême britannique, au contraire, adopte un point de vue bien plus individualiste. Elle considère que l’impossibilité pour un demandeur d’asile d’exprimer publiquement son orientation sexuelle peut justifier la reconnaissance du statut de réfugié car, dans les termes exprimés par Lord Hope, l’obligation de discrétion est une violation du droit fondamental des membres du groupe en question d’être eux-mêmes. Ainsi, le droit britannique accorde à l’expression publique de l’orientation sexuelle une place plus centrale dans le régime applicable aux réfugiés LGBT.

Un dernier élément intéressant ressort du test établi par les juges dans l’arrêt HJ. Alors que le Conseil d’Etat n’exige pas d’établir l’orientation sexuelle des demandeurs, la Cour britannique inclut la détermination de l’orientation sexuelle du demandeur comme première étape du test à appliquer. Cependant, les juges s’inspirent de la législation et de la jurisprudence anti-discrimination britanniques et considèrent qu’il suffit, pour qu’une personne soit protégée par le groupe social LGBT, qu’elle soit perçue dans son pays d’origine comme homosexuelle et risque de subir des persécutions.[4]

Le développement des régimes applicables aux réfugiés LGBT en France et au Royaume-Uni reflète à la fois la culture des droits de l’Homme qui existe dans ces deux Etats, notamment du fait de l’encadrement par le Conseil de l’Europe, et les différences entre les deux systèmes juridiques. Ainsi, alors que la France adopte un point de vue objectif et factuel et que le Royaume-Uni développe un point de vue subjectif et individualiste, les deux systèmes aboutissent à des résultats semblables permettant de protéger les personnes LGBT des persécutions et craintes de persécutions dans leur pays d’origine.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

I.                   Sources législatives

A)    Législation interne

1.      Législation britannique

Human Rights Act 1998 c. 42.

Immigration and Asylum Act 1999 c. 33.

Nationality, Immigration and Asylum Act 2002 c. 41.

Criminal Justice Act 2003 c. 44.

Immigration, Asylum and Nationality Act 2006 c. 13.

The Refugee or Person in Need of International Protection (Qualification) Regulations 2006 (SI 2006/2525).

2.      Législation française

Constitution du 4 octobre 1958, art. 53-1.

Loi constitutionnelle n°93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords internationaux en matière de droit d'asile.

Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 2015, art. L711-1, art. L712-1, art. L721-2, art. L731-1 à L731-3.

Code pénal, 2015, art. 132-77.

B)    Législation externe

1.      Législation européenne

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 1950.

Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

2.      Législation internationale

Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.

II.                Sources jurisprudentielles

A)    Jurisprudence britannique

Coleman v Skyrail Oceanic Ltd [1981] IRLR 398.

Islam v Secretary of State for the Home Department; R v Immigration Appeal Tribunal, Ex p Shah [1999] 2 AC 629.

Ahmed (Iftikhar) v Secretary of State for the Home Department [2000] INLR 1.

English v Sanderson Blinds Ltd [2008] EWCA Civ 1421.

A)    Jurisprudence française

Conseil d’Etat 10ème et 9ème sous-sections réunie 27 juillet 2012 n°342552.

Conseil d’Etat 10ème et 9ème sous-sections réunie 27 juillet 2012 n°349824.

III.             Sources doctrinales

A)    Revues britanniques

Gower M, ‘Asylum: Claims based on sexual identity’ (2011) House of Commons Library.

Gray A and McDowall A, ‘LGBT refugee protection in the UK: from discretion to belief?’ (2010) 42 Forced Migration Review 22-25.

B)    Revues françaises

Posokhow A, La demande d’asile fondée sur l’orientation sexuelle, Polemia, 2014.

C)    Autres

De Jong A, Lesbian, gay, bisexual and transgender (LGBT) refugees and asylum seekers, Information Centre about Asylum and Refugees (ICAR), 2003. Disponible: http://www.icar.org.uk/9573/navigation-guides/lgbt.html

Note d’orientation du HCR sur les demandes de reconnaissance du statut de réfugié relatives à l’orientation sexuelle et l’identité de genre, UNHCR, 2008.

Fiche thématique – orientation sexuelle, CEDH, 2015.




[1] HJ (Iran) & HT (Cameroon) v SSHD [2010] UKSC 31.

[2] Islam v Secretary of State for the Home Department; R v Immigration Appeal Tribunal, Ex p Shah [1999] 2 AC 629.

[3] Ahmed (Iftikhar) v Secretary of State for the Home Department [2000] INLR 1.

[4] Coleman v Skyrail Oceanic Ltd [1981] IRLR 398. English v Sanderson Blinds Ltd [2008] EWCA Civ 1421.