Les modifications substantielles des conditions de travail en droit espagnol - Par Tiago Da Silva

Les modifications substantielles des conditions de travail en Droit espagnol.


Tiago Da Silva


Mots clés : modification, modification substantielle, conditions de travail, contrat de travail, convention collective, droit du travail, flexibilité interne, réforme 2010, loi 35/2010


Résumé : La crise de l’emploi actuelle a causé en Espagne une nécessité de réformer le Droit du travail dans l’optique de le maintenir et d’endiguer le chômage. Pour ce faire, la loi 35/2010 a, dans son Chapitre II relatif à la flexibilité interne de l’entreprise, apporté de nombreux changements en matière de modifications substantielles des conditions de travail. En effet, la flexibilisation des rapports de travail et, par conséquent de la structure du contrat de travail, est au cœur des solutions préconisées par le législateur pour atteindre l’objectif fixé. Parmi ces changements, se distinguent l’extension des matières envisagées par la loi mais également la consécration de régimes distincts pour les conditions collectives provenant de sources extra-conventionnelles ou prévues par conventions collectives. Par ailleurs, une des nouveautés majeures concerne la mise en place d’une procédure propre en cas de défaut de représentation élue du personnel.


 


                « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise », disait Jean Monnet.  Cette citation illustre avec force la cause de la volonté de changement manifestée en Droit du travail espagnol par la loi 35/2010 dite de mesures urgentes pour la réforme du marché du travail. Ainsi, la crise financière et économique actuelle a eu en Espagne une importante incidence sur l’essor économique et plus particulièrement sur l’emploi, le taux de chômage atteignant les 20% fin 2010. Dans un tel contexte, un consensus s’est créé sur la nécessité d’une réforme qui aurait pour objectif de contrer et réduire le chômage. La réforme en question  est alors intervenue tout d’abord sous la forme du Real Decreto 10/2010 du 16 juin 2010 avant de faire place à la loi 35/2010 du 17 septembre 2010, laquelle s’organise autour de trois grandes idées pour endiguer les difficultés causées par la crise en matière d’emploi.


Parmi ces trois axes, la flexibilité interne de l’entreprise constitue un véritable point central de la réforme en ce qu’elle cautionne la réduction des licenciements au profit de mécanismes plus bénéfiques permettant le maintien des emplois en situation de crise économique. Plus exactement, une des critiques essentielles élevée concernait le fait que la crise ait eu pour effet d’entraîner une destruction massive et rapide des emplois, seule option restante en pratique pour les employeurs ; en effet, le législateur reconnait expressément dans la loi 35/2010 que par une législation qui ne facilitait pas l’introduction de modifications structurelles aux contrats de travail en cours, un recours aux contrats à durée déterminée avait constitué le seul moyen d’introduire de telles modifications  et avait par conséquent entraîné de nombreux licenciements. L’objectif avec la loi 35/2010 est alors d’étendre la flexibilité interne et le pouvoir de direction de l’employeur afin de pouvoir adapter les conditions de travail aux circonstances sans pour autant affecter les emplois dont le maintien doit être facilité par les mesures mises en place.


Par conséquent, si le Chapitre II de la loi 35/2010 relatif à la flexibilité interne négociée au sein de l’entreprise s’ordonne autour de plusieurs thèmes, il paraît évident à la lecture de la loi que le point essentiel en la matière est celui des modifications substantielles des conditions de travail et donc de l’article 41 de l’Estatuto de los Trabajadores.


De là, se posent les questions du contenu et de l’efficacité apportés par la réforme sur les modifications des conditions de travail en droit espagnol. Par ailleurs, les conséquences de la crise constatées en Espagne ne constituent pas un cas isolé et il semble donc intéressant d’étudier le cas français en parallèle. En effet, celui-ci diffère tant par les règles appliquées en la matière que, et c’est là un point d’une importance particulière, par la nature qu’il attribue à ces modifications.


Définition des modifications substantielles des conditions de travail


                La réforme opérée par la loi 35/2010 fait de l’article 41 de l’Estatuto de los Trabajadores, et par conséquent des modifications substantielles des conditions de travail, la véritable pierre angulaire de la flexibilité interne des entreprises. Ainsi, selon le Tribunal Supremo, dans un arrêt du 21 mars 2006 (RJ 5022), « ont la qualification de modifications substantielles des conditions de travail celles qui sont de telle nature qu’elles altèrent ou transforment les aspects fondamentaux de la relation de travail de telle manière que ceux-ci deviennent clairement différents ». Dans un souci de sécurité juridique, la plupart de ces aspects fondamentaux sont repris à l’article 41.1, bien que la jurisprudence ait précisé à de nombreuses reprises qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et que la simple mention des termes « entres autres » exprime clairement la possibilité de voir d’autres aspects de la relation de travail donner lieu à une qualification de modification substantielle des conditions de travail lorsque l’employeur entendrait les modifier (Tribunal Supremo 27 janvier 2003, RJ 3626). Ainsi, l’article en question dispose « qu’auront la considération de modifications substantielles des conditions de travail, entre autres, celles qui affectent les matières suivantes : a) la journée de travail b) l’horaire et la distribution du temps de travail c )le  régime des cycles de travail d) le système de rémunération e) le système de travail et de production f) les fonctions, lorsque celles-ci excèdent les limites prévues pour la mobilité fonctionnelle à l’article 39 de cette loi ». Parmi ces matières expressément visées, la réforme n’a en réalité altéré qu’un point en ajoutant à l’horaire la distribution du temps de travail ; cet ajout s’explique par le fait qu’avant cette réforme la distribution du temps de travail se considérait incluse implicitement à la matière de la journée de travail et que désormais  les conditions de travail prévues par une convention collective de branche ne peuvent donner lieu à une modification substantielle que si elles concernent les matières visées à l’article 41.1 à l’exception du point a).


Ce changement apporté par la loi 35/2010 semble anodin mais bouleverse énormément le système des modifications substantielles des conditions de travail mis en place auparavant. En effet, avant l’entrée en vigueur de cette loi, la limitation concernait toutes les conventions collectives quel que soit le niveau envisagé et la matière des fonctions, prévue au point f) de l’article 41.1, se trouvait, au même titre que la journée de travail exclue des matières pouvant faire l’objet de modifications substantielles. Par conséquent, à l’heure actuelle des règles mises en place par conventions collectives sur les matières visées à l’article 41.1 peuvent, à l’exception des conventions collectives de branches, donner lieu à des  modifications substantielles des conditions prévues par un contrat de travail sans aucune limitation. De plus, en intégrant la distribution du temps de travail à l’horaire, le législateur a fait en sorte que cette matière puisse faire l’objet d’une modification substantielle dans tous les cas puisqu’en la soustrayant à la matière de la journée de travail elle ne souffre plus de la limitation appliquée aux conventions collectives de branche. La réforme s’est donc, sur ce point, révélée très flexible et a répondu à l’objectif fixé.


                En procédant à une comparaison avec le système français, une difficulté apparaît de par la dualité sur laquelle il a toujours reposé concernant la modification des aspects de la relation de travail. Ainsi, selon l’ancienne distinction adoptée par la jurisprudence française, il fallait déterminer s’il s’agissait d’une modification substantielle, laquelle était considérée comme suffisamment importante  pour nécessiter l’accord du salarié et ne pouvait pas être adoptée unilatéralement par l’employeur, ou d’une modification non substantielle qui ne requérait pas l’accord du salarié et pouvait lui être imposée. Néanmoins, la chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 10 juillet 1996 (Bull 1996 V N° 278  p. 196) est revenue sur cette distinction en consacrant une nouvelle dualité reposant sur les modifications du contrat de travail et les modifications des conditions de travail, lesquelles répondent aux mêmes exigences que celles requises pour l’ancienne distinction en ce que les premières requièrent l’accord du salarié tandis que les secondes peuvent lui être imposées. La difficulté de comparaison avec le modèle espagnol réside dans le fait que le droit français a tendance a considérer qu’une modification substantielle se rapproche d’une modification du contrat de travail, laquelle s’oppose à une modification des conditions de travail,  alors que le droit espagnol envisage sans problème une sorte de fusion des deux en déterminant expressément des matières susceptibles de modifications substantielles des conditions de travail. D’ailleurs, à la lecture de l’article 41.1, force est de constater qu’il mentionne en même temps sous la qualification de matières donnant lieu à des modifications substantielles des conditions de travail, des matières qui en droit français donnent lieu exclusivement soit à des modifications du contrat de travail soit à des modifications de conditions de travail. Ainsi, si le droit français a clairement déterminé qu’une modification de la rémunération et du système de rémunération entraîne un changement du contrat de travail (CC soc 3  mars 1998, n°95-43.274, RJS 4/98 n°417), le droit espagnol semblerait considérer qu’il s’agit d’une matière qui rentrerait dans les deux catégories retenues en droit français ; par conséquent, la rémunération demeure en droit espagnole une matière qui, selon les cas, pourra tant relever d’une modification des conditions de travail que du propre contrat (selon la conception dualiste française). Le cas du changement des horaires, à l’inverse, est considéré en droit français comme une modification des conditions de travail là où le droit espagnol la range dans la même catégorie que d’autres matières relevant d’une modification du contrat de travail en droit français.


 En définitive, la particularité de l’article 41.1 réside dans le fait que pour le droit espagnol, les matières visées par l’article peuvent à la fois faire l’objet d’une modification du contrat ou des conditions de travail, tout dépendra du degré de substantialité de celle-ci. D’ailleurs, le Tribunal Superior de Justicia de Valancia a affirmé dans un arrêt du 23 avril 1996 (Aranzadi Social 1301) que les matières énoncées à l’article 41.1, en dépit de son intitulé, ne sont pas nécessairement substantielles ; par conséquent, le droit espagnol se rapproche donc en quelque sorte du modèle français puisque, à l’instar de celui-ci, il prévoit une certaine procédure à mettre en œuvre en cas de modification substantielle, équivalent de modification du contrat de travail en droit français, et consacre la libre mise en œuvre des modifications non substantielles, comme pour les modifications de conditions de travail en droit français qui relèvent de la discrétion de l’employeur. Le droit espagnol apporte une nuance néanmoins en considérant qu’en réalité tous les aspects basiques de la relation de travail (Tribunal Supremo 15 mars 2002, Repertorio Jurisprudencia Aranzadi Tribunal Supremo 5987) peuvent donner lieu à des modifications substantielles ou non, là où le droit français opère une délimitation plus stricte (sauf en ce qui concerne la durée de travail et le lieu de travail). Ainsi, il se base sur les éléments déjà qualifiés par la jurisprudence comme relevant exclusivement du contrat de travail ou du pouvoir de direction de l’employeur ainsi que sur la directive communautaire 91/533 du 14 octobre 1991 (JOCE L 288), laquelle définit les éléments essentiels du contrat de travail.


 


Les causes justifiant les modifications substantielles des conditions de travail


Les raisons permettant une modification substantielle des conditions de travail ont également été affectées par la réforme dans un souci de flexibilité interne à l’entreprise. Ainsi, l’article 41.1 dispose que « la direction de l’entreprise pourra, lorsqu’il existe de réelles raisons économiques, techniques, d’organisation ou de production, mettre en œuvre des modifications substantielles des conditions de travail ». L’ancien article conditionnait alors la mise en œuvre des mesures en question « à l’amélioration de la situation de l’entreprise à travers une organisation de ses ressources plus adéquate et lui permettant d’améliorer sa compétitivité sur le marché ». La loi 35/2010 a alors apporté une modification en ajoutant au critère de l’amélioration de la situation de l’entreprise celui de « la prévention d’une évolution négative » de celle-ci. Il semble donc clair que par cet ajout, le législateur tente d’élargir la définition des causes justifiant le recours à des modifications substantielles afin de permettre à l’employeur une marge de manœuvre supplémentaire. En effet, en consacrant le critère de la prévention, le législateur admet la possibilité de recourir à des modifications substantielles pour une situation qui n’est pas encore actuelle mais simplement prévisible, ce qui in fine permet de justifier de nombreuses modifications qui auraient été considérées comme nulles sous l’ancienne législation. Par ailleurs, l’article désigne de façon claire et non équivoque que de telles modifications ne peuvent intervenir qu’à l’initiative de « la direction de l’entreprise », affirmant clairement le caractère unilatéral de la mesure ce qui, par conséquent, exclut toute autre type de modification qui aurait pu survenir par accord ou suite à une demande d’un employé.


De son côté, le droit français envisage également ces mesures, qu’il s’agisse d’une modification du contrat de travail ou des conditions de travail, comme des mesures unilatérales relevant de l’initiative de l’employeur. Toutefois, une nuance peut être introduite sur ce point en ce que le droit français admet, contrairement au droit espagnol, que la modification puisse procéder de l’initiative du salarié avec pour limite que celle-ci ne puisse pas lui être imposée. Par ailleurs, concernant les causes justifiant le recours à ces modifications, s’il est vrai que le droit français envisage, de même que le droit espagnol, le motif économique (article L1233-3 du Code du travail), il va plus loin puisqu’il admet également qu’une modification du contrat de travail puisse se fonder sur d’autres motifs parmi lesquels le motif disciplinaire (CC soc 16 juin 1998, n°95-45.033, RJS 7/98 n°858).


 


Les catégories de modifications substantielles


                Antérieurement à la loi 35/2010, la distinction traditionnelle portait sur d’un côté les modifications d’ordre individuel et de l’autre  les modifications d’ordre collectif, distinction réalisée en fonction de la source des conditions modifiées. Avec l’entrée en vigueur de la réforme, une subdivision a été apportée à l’aspect collectif pour distinguer les modifications d’ordre collectif extra-conventionnelles de celles concernant des conditions prévues par des conventions collectives. En effet, si l’article 41.2 demeure intact dans sa rédaction en disposant que les modifications de caractère individuel sont celles qui touchent « aux conditions dont jouissent les salariés à titre individuel » tandis que les modifications de caractère collectif demeurent celles qui « affectent des conditions reconnues à ces derniers par accord collectif ou par décision unilatérale de l’employeur »,  l’article 41.6 apparaît comme une nouvelle création de la loi 35/2010 et introduit comme changement majeur une régulation autonome relative aux modifications de conditions prévues par convention collective. La réforme semble a priori n’engendrer qu’une simple réorganisation de l’aspect collectif des modifications, étant donné que cet aspect était tout de même inclus dans l’aspect collectif classique sous l’ancien article 41.2. En réalité, au-delà de la forme, de réels changements sont à noter sur le fond puisque, tant au niveau des matières visées qu’au niveau de la procédure, une différenciation est affirmée. En effet, les conditions désormais prévues par convention collective de branche ne peuvent être modifiées que si elles concernent des matières visées à l’article 41.1 à l’exception de la journée de travail (article 41.1 a).


Le droit français s’inscrit dans la même lignée puisqu’il existe également une différenciation entre modification d’ordre individuel et modification d’ordre collectif. Néanmoins, aucune distinction n’est opérée entre modifications de conditions collectives extra-conventionnelles, par exemple établies par un usage d’entreprise, et modifications de conditions collectives prévues par convention collective pour ce qui concerne les matières faisant l’objet de modifications. Ainsi, seule la procédure varie entre ces deux types de conditions collectives.


 


Les diverses procédures de modifications substantielles de conditions de travail :


                L’article 41 prévoit de fait trois procédures pour les trois catégories identifiées par la loi relatives aux modifications substantielles du contrat de travail. Ainsi, l’article 41.3 instaure, tout d’abord, la procédure relative aux modifications individuelles en prévoyant pour simples conditions de formalité d’une part la notification de la mesure au salarié concerné et aux institutions représentatives du personnel et, d’autre part, que celle-ci se fasse au moins avec un préavis de trente jours. L’article précise par la suite qu’en cas de modification relative à la journée de travail, à l’horaire et à la distribution du temps de travail ainsi qu’au régime des cycles de travail, le salarié se voit expressément reconnaitre, dès lors que la modification lui porte préjudice, le droit de résilier son contrat de travail et d’obtenir une indemnisation ou bien de saisir les tribunaux compétents de la validité de la modification. Ce point de l’article est particulièrement important en ce qu’un enseignement majeur peut en être déduit ; en effet, il semble à la lecture de l’article que lorsque la modification ne concerne pas les matières visées aux points a), b) et c) de l’article 41.1, le salarié ne pourra ni résilier son contrat de travail ni saisir les tribunaux compétents pour mettre en doute la justification de la modification. Par conséquent, lorsqu’une modification est faite en matière de système de rémunération ou de travail et de productivité ou encore en matière de fonctions (dès lors que les limites posées par l’article 39 relatif à la mobilité fonctionnelle ont été dépassées), le salarié n’aura pas d’autre choix que d’appliquer la décision de l’employeur.


En opposition totale à ce système, sauf pour le délai de préavis, le droit français retient une solution tout autre en matière de modifications individuelles ; avant tout, conformément à l’article L1222-6 du Code du travail, l’employeur est tenu de communiquer au salarié par lettre recommandée avec avis de réception la proposition de modification de son contrat de travail pour motif économique. Le Code ajoute alors que l’employeur se doit de l’informer qu’il dispose d’un délai d’un mois pour manifester son accord ou son refus, l’absence de réponse étant réputée valoir acceptation de la modification. Il apparaît donc qu’en matière de modification pour motif économique, à l’inverse du droit espagnol, l’employeur n’a pas à consulter les représentants du personnel. Par ailleurs, le droit français se distingue également du droit espagnol en ce qu’il affirme qu’en cas de refus du salarié de la modification, c’est à l’employeur de le licencier pour motif économique, bien qu’il existe quelques exceptions, là où le droit espagnol retient que c’est au salarié même de démissionner. De plus, comme cela a déjà été évoqué, le droit français envisage aussi qu’une modification puisse être voulue par l’employeur pour d’autres raisons que des raisons économiques, auquel cas l’information demeure obligatoire sans conditions de forme (CC soc 4 juin 1971, n°70-40.050) et sans délai déterminé (un délai raisonnable de 7 jours minimum est tout de même exigé par la jurisprudence).


L’article 41.4 traite, quant à lui, de l’aspect collectif des modifications, aspect d’application générale à toute modification collective quelle qu’elle soit et qui s’est vu modifié par la loi 35/2010 sur de nombreux points dans l’optique d’assurer une sécurité juridique plus efficace  pour un tel processus. Ainsi, malgré ces changements, la loi conserve pour clé de voûte la période de consultation préalable à toute modification des conditions de travail qui pourrait être voulue par l’employeur, son absence conduisant à la nullité de la modification mise en œuvre (Tribunal Superior de Justicia de Madrid 19 février 2008, Aranzadi Social 1110). En effet, l’article dispose que « la décision de modification substantielle des conditions de travail à caractère collectif devra être précédée, dans les entreprises où il existe des représentants légaux du personnel, d’une période de consultation avec ces derniers » et ajoute à l’alinéa 2 que celle-ci « doit être menée de bonne foi». Néanmoins, la dite consultation n’a pas pour autant échappé à la réforme ; tout d’abord, le premier changement apporté concerne la durée de la période de consultation qui est passée à un maximum de quinze jours, là où l’ancien article 41.4 exigeait un délai minimum de quinze jours. Le législateur a ainsi voulu pourvoir la procédure de consultation d’une meilleure agilité et efficacité en limitant la durée de celle-ci afin que la situation ne demeure pas bloquée indéfiniment et entraîne une difficulté pour l’entreprise.


En second lieu, l’une des autres modifications majeures apportées par la réforme concerne le cas où l’entreprise ne disposerait pas de représentants du personnel, situation qui antérieurement laissait place à un vide juridique. Désormais, l’alinéa 3 de l’article 41.4 prévoit qu’en cas d’absence de représentation des salariés, ces derniers puissent attribuer cette fonction de négocier à une commission ad hoc  formée par trois membres maximum et composée soit par « des salariés de la propre entreprise », soit par « des affiliés désignés par les syndicats les plus représentatifs et représentatifs de la branche à laquelle appartient l’entreprise ». L’accord doit toutefois, à l’instar des entreprises où il existe une représentation du personnel, être adopté à la majorité des membres de la commission. La loi 35/2010 en corrigeant l’insécurité juridique découlant de l’absence de réglementation n’en oublie pas pour autant son objectif de flexibilité interne de l’entreprise et, pour ce faire, instaure à l’alinéa 4 de l’article que la désignation de cette commission doit se faire dans un délai de cinq jours à partir de l’ouverture de la période de consultation ; par conséquent, dans un souci de maintenir une courte durée de consultation permettant une meilleure flexibilité pour l’employeur, le délai de formation de la commission ne vient pas s’ajouter au délai de consultation mais s’intègre bel et bien à celui-ci.


Enfin, deux autres modifications concernent le fait que la loi reconnaît, d’une part, la possibilité que la procédure de modification substantielle soit réglementée par négociation collective (article 41.4 alinéa 1), la procédure légale n’intervenant alors que subsidiairement, mais aussi, d’autre part, que puisse se« substituer à la période de consultation une procédure d’arbitrage ou de médiation », procédure qui devrait intervenir au cours du délai de quinze jours (article 41.5). Toutefois, ce dernier point de la loi 35/2010 n’est en réalité pas une nouveauté en ce qu’une telle hypothèse était déjà possible auparavant, elle n’était tout simplement pas prévue expressément. Néanmoins, l’apport de la loi qui vient assurer en tous points la volonté de flexibilité du législateur concerne l’issue de la consultation. En effet, l’article 41.4 alinéa 6 affirme que lorsqu’un accord aura été conclu la modification sera valable et ne pourra être déférée en justice « qu’en cas de dol, violence ou abus de droit », de sorte qu’en limitant à son strict minimum les raisons qui justifie une action en justice le législateur a tenu, en alignant ces dernières avec celles retenues pour les licenciements collectifs économiques, à donner une pleine effectivité aux modifications conclues sans que puisse être invoqué un défaut de raisons justificatives de telles mesures (raisons mentionnées à l’article 41.1 alinéa 2). Il instaure ainsi une présomption irréfragable de justification de la modification.


Le droit français, quant à lui, se rapproche sur certains points du droit espagnol et s’en démarque sur d’autres. Ainsi, en cas de modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour motif économique (articles L1222-6 et L1233-4 du Code du travail), l’employeur est tenu, comme en droit espagnol, de consulter les représentants du personnel avant toute prise de décision (article L2323-2).  Une procédure semblable à celle prévue pour le licenciement individuel pour motif économique (délai et conditions de forme) s’appliquera dans l’hypothèse d’un licenciement collectif et l’éventuel refus du  salarié entraînera son licenciement pour motif économique ; toutefois, une particularité propre au droit français et relative au licenciement collectif économique concerne l’obligation de reclassement (article L1233-4) et le fait qu’en cas de plus de dix refus de salariés, l’employeur soit dans l’obligation de prévoir un plan social de sauvegarde de l’emploi (CC soc Framatome Majorette 3 décembre 1996, Droit social 1997 page 18).


                Par ailleurs, suite à la distinction opérée par la loi 35/2010 entre modifications substantielles de conditions collectives extra-conventionnelles et modifications substantielles de conditions collectives prévues par conventions collectives, deux nouveaux paragraphes viennent s’ajouter à l’application générale de la procédure prévue à l’article 41.4 pour déterminer les spécificités de chaque régime. En effet, le nouvel article 41.5 traite des modifications de conditions collectives dite extra-conventionnelles, lesquelles sont en grande majorité des conditions accordées à titre unilatéral par l’employeur ou relevant d’un usage d’entreprise. Il dispose qu’une fois la période de consultation terminée la décision de l’employeur devient opposable aux salariés et effective avec un préavis de trente jours alors que l’article 41.6, relatif aux conditions prévues par convention collective, en dispose tout autrement et prévoit une régulation plus particulière. Ainsi, ce nouveau régime diffère tout d’abord en ce qui concerne les matières visées puisque certaines ne pourront pas faire l’objet de modifications lorsqu’elles auront été traitées dans des conventions collectives de branches (comme mentionné plus haut) tandis qu’une convention collective nationale interprofessionnelle ou d’entreprise ne se verra pas limitée. Une seconde particularité tient au fait qu’en cas d’accord sur la modification proposée, celle-ci pourra avoir une durée déterminée ou non mais elle ne pourra en aucun cas excéder la durée restante de vigueur de la convention, point essentiel et totalement à l’opposé des modifications collectives extra-conventionnelles. Enfin, et il s’agit là de la différence majeure entre ces deux catégories de modifications, l’article 41.6 prévoit que la modification ne peut intervenir que par accord entre les parties à la négociation, les salariés n’ayant pas la possibilité de refuser, contrairement au droit français, et de demander la résiliation du contrat de travail mais uniquement de saisir le tribunal sur la validité de la modification. Par conséquent, si aucun accord n’est conclu à la fin de la période de consultation la modification envisagée par l’employeur ne pourra pas être mise en œuvre, ce qui diffère totalement de toutes les autres procédures envisagées par l’article. C’est pourquoi, dans un souci de ne pas conduire à des consultations inefficaces, la loi 35/2010 a ajouté qu’en cas de désaccord il soit possible voire obligatoire de recourir à une médiation pour le régler. En effet, si la médiation était envisageable avant la réforme, le législateur a voulu instaurer par la loi 35/2010 une obligation convenue par convention collective préalablement à toute modification et qui obligerait les parties à se soumettre à une médiation afin de s’accorder sur une modification éventuelle.


De son côté, le droit français ne s’inscrit pas dans la même lignée et s’oppose au droit espagnol sur les deux catégories collectives envisagées. Ainsi, concernant les conditions établies de manière extra-conventionnelle, c’est-à-dire par usage d’entreprise et normes atypiques, le droit français considère que les avantages découlant de ces normes ne s’intègrent pas au contrat de travail (CC soc 16 mars 1989, Bull. civ V, n°221) et que l’employeur peut à tout moment les supprimer « à condition d’en informer les institutions représentatives du personnel et, de manière individuelle, chaque salarié concerné » dans un délai de prévenance suffisant (CC soc 3 mars 1993, n°89-45.785, RJS 4/93 n°451). Le droit français n’instaure donc qu’une obligation d’information à la charge de l’employeur et non pas, comme en droit espagnol, une période de consultation. D’autre part, concernant les conditions prévues par une convention collective, le droit français s’écarte du droit espagnol en considérant que leur modification ne peut intervenir que par dénonciation de la convention en question (article L2222-6 du Code du travail), laquelle, lorsqu’elle est régulière, entraine une nouvelle négociation qui doit être engagée dans les trois mois entre l’employeur et les syndicats représentatifs signataires de l’accord en vue de conclure un nouvel accord (article L2261-10).


Bibliographie :


Sources espagnoles :


- Carlos Molero Manglano, « Manual de Derecho del Trabajo », 2010


- Francis Lefebvre, « Memento Práctico Social », 2010


- Eduardo Ortega Prieto, « La reforma laboral de 2010 », 2010


- Ignacio García-Perrote Escartín, « La reforma del mercado del trabajo. Ley 35/2010, de 17 de septiembre », 2010


- Alexis Acosta Tejera, « Las modificaciones sustanciales de condiciones de trabajo en la Ley 35/2010, de 17 de septiembre de 2010, de medidas urgentes para la reforma del mercado de trabajo », 2010


- Antonio Fernández Díez, « Modificación sustancial de condiciones de trabajo en la ley 35/2010 », Doctrina Científica, 2010


 


Sources françaises :


- Francis Lefebvre, « Mémento Pratique Social », 2009


- Jean Pélissier, « Droit du travail », 2010


- Cyrille Charbonneau, « Modification du contrat de travail », Cahiers sociaux du Barreau de Paris, 1er janvier 2004 n° 156, page 1


- Françoise Favennec-Héry, « Modification du contrat de travail et modification des conditions de travail : de l’objectif vers le subjectif », RJS juin 2003 page 459