A propos du Protocole de Kyoto, par Louisa Silcox
Le droit de l’environnement est un droit de nature internationale, dont la mise en œuvre nécessite une application interne des obligations internationales par les Etats. Cette relation se révèle toutefois très problématique dans ce domaine particulier, notamment en raison du conflit entre le droit de l’environnement et le droit commercial international. En outre, les objectifs de réduction de gaz à effet de serre différenciés entre les Etats développés ainsi que les différences des obligations entre les Etats développés et les Etats en voie de développement rendent l’application des obligations internationales en droit interne délicat. Cette relation difficile sera examinée eu égard à l’application en droits internes français, anglais et américain des obligations internationales découlant du Protocole de Kyoto.
Le droit de l’environnement est un droit récent qui s’est développé à différentes vitesses et à différentes échelles juridiques, notamment en droit international, en droit communautaire, en droit national et même en droit local. L’interaction de ces différents niveaux suit l’intensification de la globalisation économique, sociale et politique et les effets environnementaux subséquents tels que le réchauffement climatique (Oxford Dictionary of Law). En 1992 à Rio, le « Sommet de la Terre » a eu lieu, marquant la prise de conscience internationale des risques découlant du changement climatique, et a donné lieu à deux conventions juridiquement contraignantes : la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la Diversité Biologique. Les Etats développés s’étaient engagés à stabiliser leurs émissions des gaz à effet de serre en l’an 2000 au même niveau qu’en 1990 et cet engagement international devait passer par des mesures internes des Etats (www.ec.gc.ca/climate/kyoto-f.html). En décembre 1997, cet engagement international a été traduit en engagements juridiquement contraignants par l’accord historique signé à Kyoto (Japon) (La mise en œuvre du Protocole de Kyoto 2005). Approuvé par 172 pays, ce « Protocole de Kyoto » est le premier traité international dans le domaine de l’environnement à formuler des objectifs juridiquement contraignants aux Etats l’ayant ratifié. Les 38 Etats industrialisés (listés sous l’annexe 1 du traité) ont accepté de réduire leurs émissions de 5,2% par rapport aux niveaux de 1990 entre 2008 et 2012 (www.industrie.gouv.fr/energie/developp/serre/ textes/se_kyoto.htm). Le Protocole de Kyoto est entré en vigueur le 16 février 2005 après la ratification par plus de 55 pays signataires de la CCNUCC (article 25 du Protocole), avec des objectifs de réduction des émissions différentielles différents suivant les pays. Ainsi, les Etats-Unis ont accepté une réduction globale des gaz à effet de serre de 7% et l’Union Européenne de 8% (http://untreaty.un.org/English/ TreatyEvent2006/Focus2006_fr.pdf). Suite à l’entrée en vigueur du Protocole, les pays l’ayant ratifié sont désormais légalement tenus de respecter les cibles de réductions acceptées à Kyoto en 1997 (cf la Convention de Vienne de 1969). Pour ce faire les Etats sont priés d’adopter et de mettre en œuvre des politiques et mesures internes de réduction de leurs émissions nationales. Le Protocole de Kyoto laisse toutefois une marge de manœuvre aux Etats quant aux moyens à utiliser afin d’atteindre ces objectifs (article 2 du Protocole). Cependant, la ratification du Protocole de Kyoto impliquait des effets potentiellement négatifs sur l’économie interne des Etats, en imposant des contraintes sur le commerce international, ce qui a conduit au refus de ratification du Protocole par les Etats-Unis. Ainsi, il convient d’examiner les réalisations nationales de ces objectifs par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis (I) afin d’analyser les difficultés de la relation entre les droits internationaux et nationaux dans le cadre du Protocole de Kyoto (II).
Des applications nationales divergentes des Etats développés
Afin de limiter la hausse des températures moyennes de la planète à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, le Protocole de Kyoto n’est qu’une première étape nécessaire quant à la réduction des émissions des pays industrialisées. Dans l’attente d’un accord international global contraignant pour la période postérieure à 2012, les Etats mettent en place leurs propres politiques. Le Protocole de Kyoto est alors fondé sur l’action nationale des Etats parties, qui doit constituer une part « significative » de la réduction des émissions. Ainsi, les mécanismes du Protocole n’interviennent qu’en cas d’insuffisance du droit national (www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/changement-climatique/protocole...).
- Une mise en œuvre extensive des objectifs…
A la suite de son engagement au Protocole, en juin 1998, l'Union européenne a procédé à une répartition de la charge de l’objectif d’une réduction générale de 8%, avec des taux différentiels de réduction entre les États membres. Le Royaume-Uni s’est ainsi engagé à une réduction de 12%, contrairement à la France qui est tenue à la moindre obligation de stabiliser ses émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990 avant 2012. (www.ace.mmu.ac.uk/eae/french/GlobalWarming/Older/ KyotoProtocol.html). Par décision du 25 avril 2002, la Communauté européenne a ratifié le Protocole de Kyoto, l’introduisant alors dans le droit communautaire (www.legifrance.fr). En prenant de l’avance sur l’entrée en vigueur du Protocole (qui a eu lieu le 16 février 2005), au sein de l’Union européenne une politique de lutte était mise en place par des plans nationaux. La décision du Parlement européen du 21 octobre 2003 démontre la « volonté de l’UE de mettre en œuvre l’ensemble des dispositions du Protocole de Kyoto ». Ce texte imposait des obligations plus étendues aux Etats membres et leur fait obligation de veiller à ce que leurs émissions correspondent au niveau que le Protocole leur avait attribué. Ainsi en 2005, les émissions françaises des gaz à effet de serre étaient de 1,9% en dessous de celles de 1990 conformément aux objectifs du Protocole de Kyoto. Le gouvernement anglais s’est par la suite engagé à baisser ses émissions de 80% avant 2050 et la France à diviser ses émissions par quatre (www.ifen.fr) notamment avec le « Plan Climat 2004-2012 », lancé en juillet 2004, et qui définit les actions nationales françaises de préventions du changement climatique (www.euractiv.fr) L’Union européenne impose à ses Etats membres un respect de leurs obligations internationales environnementales, tout en formulant ses propres obligations communautaires qui dépassent les minima internationaux. Ainsi l’UE s’est engagée à réduire ses émissions d’au moins 20% avant 2020 par rapport à 1990, à travers un accord interne de la répartition (les conclusions du Conseil européen du 8 et 9 mars 2007). La France et le Royaume-Uni ont alors tous les deux transposé leurs obligations internationales découlant du Protocole ainsi que du droit communautaire, et ont renforcé leurs obligations par des objectifs politiques, contrairement aux Etats-Unis qui n’ont pas ratifié le Protocole, en refusant le droit international tout en préférant leurs propres initiatives environnementales
- … malgré un refus de ratification pénalisant Les Etats-Unis ont signé le Protocole de 1997 mais le Sénat américain a finalement bloqué ce processus, craignant que les mécanismes de réduction portent atteinte à l’économie du marché américain. Le Sénat a également exigé la ratification du Protocole par de grands pays en voie de développement tels que l’Inde ou la Chine (www.lenntech.com/fran%C3%A7ais/ effet-de-serre/Kyoto-Etats-Unis.htm). Les États-Unis ont donc refusé de ratifier le Protocole, justifiant ce refus notamment par le fait que cela serait contraire à l’économie des Etats-Unis (http://usinfo.state.gov/fr/Archive/2005/Jul/06-640663.html). Tout en reconnaissant être les plus grands producteurs mondiaux des gaz à effet de serre (20 tonnes de CO2 par habitant par an contre 10 tonnes par allemand ou 2,3 par chinois par exemple) les Etats-Unis ont défendu leur refus en soutenant la supériorité de leur efficacité énergétique (selon l’AIE, « un américain émet 0,77 tonnes de CO2 pour 90 dollars de PNB alors qu’un chinois en émet 3,54 pour le même montant »)... Ainsi le 29 mars 2001, George Bush annonce que les Etats-Unis ne ratifieront pas le Protocole puisqu’il ne correspond pas aux intérêts économiques américains(www.lenntech.com/fran%C3%A7ais/effet-de-serre/Kyoto-Etats-Unis.htm). . Le fait que l’un des plus gros pollueurs mondiaux ait signé mais ensuite refusé de ratifier le Protocole afin de protéger ses intérêts économiques, démontre non seulement la relation difficile entre le commerce international et la protection de l’environnement, mais également les inégalités de la place des nations dans la communauté internationale. Contrairement aux objectifs politiques européens, le gouvernement américain quant à lui, a préconisé une baisse non contraignante des émissions de 50% par rapport à 1990, sans toutefois s’y engager (www.rfi.fr/actufr/articles/090/article_52492.asp). Toutefois, il est à noter que quelques Etats américains ont pris des mesures internes afin de se conformer au Protocole de Kyoto, malgré le refus du Sénat. En 2006, la Californie par exemple s’est engagée à une réduction des émissions de 10% avant 2010 et de 87% avant 2050, avec la possibilité de sanctionner financièrement les industries qui ne respecteront pas cet engagement (http://tonto.eia.doe.gov/ state/stateenergyprofiles.cfm?sid=CA). - L’exemple des propositions des systèmes des quotas
A la place de leur ratification du Protocole, les Etats-Unis ont proposé des « permis négociables ». Ce « programme d’échange » de droits d’émissions permettrait à un Etat qui aura baissé ses émissions, de vendre un permis équivalent à la réduction aux Etats souhaitant avoir des droits d’émissions supplémentaires (www.ladocumentationfrancaise.fr/ dossiers/changement-climatique/protocole-kyoto.shtml). Toutefois ce programme n’a pas encore été mis en œuvre par les Etats-Unis. Au contraire, la directive européenne 2003/87/CE du 13 octobre 2003 a établi un « système d’échanges » des quotas d’émission, mettant en place un marché européen des quotas compatibles avec le Protocole. Cependant, il est intéressant de noter que ce marché européen des quotas ne se situe pas au niveau des Etats mais à celui des entreprises. Pour encore compliquer la transposition des systèmes des quotas, plusieurs entreprises en Europe ont pris des engagements volontaires fondés sur le Protocole de Kyoto, en allant au-delà des exigences internationales (www.euractiv.fr)…
Une relation difficile à concilier
A la suite du refus de ratification américain, la XIe conférence des Nations Unies sur les changements climatiques était déterminante pour le futur du Protocole de Kyoto. Lors de la Conférence de Bonn du 16 au 27 juillet 2001, la communauté internationale a manifesté sa forte inquiétude quant à la possibilité de voir les intérêts commerciaux nationaux d’un Etat primer sur les obligations internationales, d’autant plus dans un domaine à implication aussi globale que la protection de environnement. Cette inquiétude a été renforcée dans le mesure où d’autres pays signataires tels que le Japon ou le Canada menaçaient de ne pas ratifier l’accord en l’absence des Etats-Unis. Au terme des négociations intensives un accord politique juridiquement non-contraignant (soft law) a été conclu le 23 juillet 1992, concernant notamment la création d’un fonds pour aider les pays en développement à faire face aux problèmes environnementaux ainsi que pour les aider à mieux gérer les émissions de gaz à effet de serre. Soulignant le fort caractère politique et économique du droit de l’environnement, il est intéressant de noter concernant ce fonds international, que le gouvernement britannique a récemment décidé que les £800 millions de subventions environnementales annoncés en 2007, prendront finalement la forme des prêts concessionnels. Le gouvernement américain par contre a préféré des subventions environnementales (The Guardian 17 mai 2008). Cette décision a été très critiquée, mais un porte-parole gouvernemental britannique a rappelé que « le financement doit soutenir les plans d’action internes des Etats qui doivent s’accorder aussi bien avec des politiques de réduction de la pauvreté que des actions environnementales internationales » (www.dfid.gov.uk). Cette modification démontre l’étroit lien entre la politique, l’économie et le droit de l’environnement ainsi que les difficultés liées à la place accordée aux obligations internationales par les Etats lorsque celles-ci restreignent des intérêts internes. Ce lien est encore plus délicat dans le cadre du doit de l’environnement, puisqu’un accord international post-Kyoto est nécessaire afin de baisser réellement les taux de gaz à effet de serre émis par les Etats. Mais un tel consensus ne peut être obtenu qu’à travers le respect de tous les Etats d’une règle internationale contraignante négociée à l’échelle internationale, appliquée dans tous les Etats, et sanctionnée par la communauté internationale.
Conclusion A travers l’exemple du Protocole de Kyoto, les difficultés liées à l’application du droit international de l’environnement en droit interne sont nombreuses. Plusieurs conséquences peuvent en être tirées, dont une importance juridique grandissante dans le domaine de l’environnement international accordée au « soft law » tels que les déclarations politiques, engagements volontaires ou principes directeurs. Il est aussi à noter qu’en France, contrairement au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, la politique environnementale fait partie de la stratégie globale de développement durable, qui comprend aussi des enjeux économiques et sociaux. Ceci permet une relation moins conflictuelle entre les droits internationaux et internes et le domaine juridique et politique, à l’exemple de la loi n°2005-205 du 1e mars 2005 qui introduit la « Charte de l’environnement » dans le préambule de la constitution française, en consacrant les droits et devoirs environnementaux selon les principes généraux issus de la déclaration politique de la Convention de Rio.