Une illustration de la complexification de la législation en matière de droit d'asile : selon la CJUE, les demandeurs d'asile homosexuels peuvent constituer un groupe social spécifique
Le 7 novembre 2013, la CJUE a jugé que les demandeurs d'asile homosexuels peuvent constituer un groupe social spécifique susceptibles d'être persécutés en raison de leur orientation sexuelle. Cette décision, qui répond à une question préjudicielle portant sur l'interprétation d'une directive, illustre la complexification du régime juridique du droit d'asile au sein de l'Union Européenne.
Le 7 novembre 2013, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) répondait à une question préjudicielle posée par les Pays-Bas. Il s'agissait de savoir si "les demandeurs d'asile homosexuels peuvent constituer un groupe social spécifique susceptibles d'être persécutés en raison de leur orientation sexuelle." (CJUE, communiqué de presse n° 145/13, le 7 novembre 2013). Les juges de Luxembourg ont répondu par l'affirmative. Cette décision illustre la complexification de la législation en matière de droit d'asile au sein de l'Union Européenne (UE). La question posée concerne l'interprétation d'une directive, qui elle-même repose sur la Convention internationale relative au statut des réfugiés de 1951. La Cour précise que ce texte universel "constitue la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés et que les dispositions de la directive [...] ont été adoptées pour aider les autorités compétentes des États membres à appliquer cette convention en se fondant sur des notions et des critères communs". La lecture de cette décision conduit à s'interroger sur les effets de l'élaboration d'un régime d'asile européen et sur la réception par les Etats membres de la Convention de Genève.
La législation européenne est venue s'interposer entre le régime international existant et les ordres juridiques des Etats membres dans un but d'harmonisation. Cet objectif est en voie de réalisation. Cependant, certaines divergences persistent entre les Etats membres de l'UE, comme l'illustrent les exemples allemands, français et irlandais. Enfin, se pose la question de savoir si cette harmonisation permet une meilleure effectivité du régime international dans les Etats membres.
La multiplication des normes en matière de droit d'asile
Les règles initiales : la Convention de Genève de 1951 et le Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967
Le droit international des réfugiés s'est développé au cours de la première moitié du 20ème siècle. Suite à la deuxième Guerre Mondiale et aux flux massifs de population qui suivirent, a été créé l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Cet organe subsidiaire de l'Assemblée Générale est chargé de diriger et de coordonner la protection internationale des réfugiés. La Convention relative au statut des réfugiés, ou Convention de Genève a ensuite été adoptée en 1951. Ce texte international a été largement ratifié. Il a ensuite été complété par le Protocole de New York afin d'en étendre la portée (plus de limite géographique ou temporelle). La Convention énonce, d'une part, une définition de la notion de réfugié, puis les droits attribués à une personne ainsi qualifiée. C'est la première fois que les Etats se sont accordés sur une définition universelle. Cependant, aucun organe n'est établi afin de l'interpréter et d'en préciser les termes de manière obligatoire et centralisée. Seules les observations et les manuels adoptés par le UNHCR offrent une interprétation internationale, qui ne lie pas formellement les acteurs étatiques. La définition contient certains concepts assez vagues, comme l'appartenance à un groupe social particulier. Cette notion flexible a été pensée pour permettre par la suite de protéger d'autres personnes, non-envisagées en 1951, comme les personnes homosexuelles. Le caractère insuffisamment précis et l'absence d'interprétation contraignante centralisée de ces dispositions internationales ont conduit à une disparité dans leur mise en œuvre au sein des Etats parties.
Par exemple, l'Allemagne a reconnu près de dix ans avant la France, en 1988, l'asile à un réfugié iranien en raison de son orientation sexuelle. La cour fédérale administrative avait interprété largement le motif de persécution en raison des idées politiques. Elle ne s'était donc pas basée sur l'appartenance à un groupe social particulier (Bundesverwaltungsgericht, 15 mars 1988, 9 c 278/86). Le Conseil d'Etat a quant à lui admis l'idée de l'appartenance d'un demandeur d'asile algérien transsexuel à un groupe social particulier en 1997 (CE, 23 juin 1997, n°171858).
Ainsi, préalablement à toute coopération au sein de l'UE, les Etats membres pouvaient avoir des interprétations variées de la Convention de Genève et être dotés de systèmes différents afin de la mettre en œuvre. En Allemagne, en France et en Irlande, des solutions assez similaires ont cependant été adoptées sur le plan institutionnel. Des établissement publics spécifiques ont été mis en place, dépendant en France et en Allemagne du ministère de l'intérieur (l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge) et en Irlande du ministère de la justice (Office for Refugee Applications Commissioner). Ces trois pays ont mis en place des procédures d'appel afin de permettre la contestation des décisions rendues par ces autorités. En Irlande et en France, il s'agit de juridictions spéciales (le "Refugee Appeals Tribunal" et la Cour Nationale du Droit d'Asile). La juridiction irlandaise a pour spécificité de ne pas rendre ses décisions publiques, ce qui rend une analyse détaillée de la situation des droits des réfugiés en Irlande peu évidente. Enfin, en Allemagne, les juridictions administratives ordinaires statuent, mais sur le fondement d'une loi propre au droit d'asile, reprenant les exigences de la Convention de Genève.
Le développement des règles européennes
Lors de l'adoption de la Convention en 1951, la problématique de la liberté de circulation ne se posait pas. Initialement, la Communauté économique européenne n'avait pas vocation à encadrer le droit d'asile. Mais à partir des années 1990, avec la consécration de la liberté de circulation des citoyens, le droit d'asile devenait une préoccupation commune aux 28 Etats membres. Ceux-ci ont tout d'abord coopéré sur un plan intergouvernemental pour établir des solutions communes, afin, à long terme, d'instaurer un régime d'asile européen commun (RAEC). Le but étant d'harmoniser les pratiques nationales afin de répartir entre les Etats membres la responsabilité relative aux demandeurs d'asile. En 1990, 15 Etats ont adopté la Convention de Dublin. Puis, avec le Traité d'Amsterdam, la question du droit d'asile est devenue une compétence européenne, dépassant le simple cadre de la coopération intergouvernementale. Plusieurs textes de droit dérivé ont été adoptés. Le règlement Dublin III, entré en vigueur le 1er janvier 2014 (abrogeant le règlement Dublin II adopté en 2003) concrétise la Convention de Dublin en désignant l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile. Et plusieurs directives viennent compléter le régime de Dublin, dont la directive "qualification" (2004/83/CE) que la CJUE a interprétée dans la décision commentée. Ce texte, refondu en 2011 (2011/95/UE), présente l'avantage d'édicter des standards minimaux afin d'établir une définition commune de la notion de réfugié. Comme le précise la Cour, il vise à aider les Etats membres dans la mise en œuvre de la Convention de Genève. Cependant, ces critères sont "minimaux" et doivent eux-mêmes parfois faire l'objet d'une interprétation par la CJUE. Une interprétation qui se trouve, comme il le sera démontré par la suite, parfois en deçà de celles adoptées dans certains Etats membres.
Mais le droit européen n'a pas pour seul but d'harmoniser les pratiques nationales. Il confère également une protection plus large aux demandeurs d'asile que le régime international. Deux standards de protection supplémentaires ont été créés, bénéficiant aux demandeurs ne satisfaisant pas les conditions pour accéder à la protection internationale. Ces nouvelles catégories rendent le système européen assez complexe en lui-même, recouvrant diverses réalités. Mais le but poursuivi est louable. Si la mise en œuvre de ces règles supplémentaires permet en pratique une meilleure prise en compte des demandes d'asile, alors il semble que la complexité apportée soit proportionnée au but poursuivi.
L'arrêt du 7 novembre 2013 illustre parfaitement le résultat de ce développement du droit européen : désormais les Etats membres peuvent se référer à la Cour de Luxembourg afin d'interpréter la notion de réfugié, sur la base d'un texte européen. Mais, comme le souligne la Cour, la Convention de Genève reste "la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés". Donc, indirectement, en se prononçant sur le sens à donner à la directive qualification, les juges européens interprètent ce texte international. Là où justement, sur le plan universel, aucune interprétation centralisée et obligatoire ne permet une application uniforme de la Convention. Sur la forme, le développement du droit européen constitue donc un progrès, permettant une prise en compte harmonisée de la Convention dans les 28 Etats membres. Sur le fond, concernant les réfugiés, il faudra cependant veiller à ce que l'interprétation donnée à ces textes ne nivèle pas vers le bas les standards de protection existants dans certains Etats membres.
Cette prolifération des législations conduit à une complexification croissante des règles, ce qui inquiète par exemple la Commission Nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) en France (François Julien-Laferrière, "Réforme de l'asile : respecter les droits de la personne et le droit de l'UE" Commentaire de l'avis de la CNCDH du 28 nov 2013 sur le Régime d'asile commun européen, Dalloz, AJDA 2014, p.727). En effet, cette profusion de textes entraîne une moins grande visibilité des règles applicables pour les personnes concernées. Il semble que cette complexification soit quelque peu inévitable, tenant d'une part à l'essence-même du droit européen (venant s'intégrer aux législations nationales, et se juxtaposer aux conventions internationales), et à son processus d'élaboration (consensus à atteindre au niveau de l'Union). De plus, s'il existe de nombreuses directives en la matière (dont les directives "accueil", "procédure", "qualification"), il revient aux Etats membres de les transposer dans leurs droit nationaux et d'assurer la clarté de leurs législations internes.
Une harmonisation effective?
L'effet recherché par l'UE est d'harmoniser la mise en œuvre par les 28 Etats de la protection internationale des réfugiés. Le fait qu'une juridiction nationale pose à la CJUE une question préjudicielle concernant la qualification de réfugié indique une réelle harmonisation de la législation en pratique. Toutefois, certaines divergences persistent. Elles sont plus ou moins importantes, comme l'illustrent les deux exemples suivants.
Qualification de réfugié : motif de persécution
La France, l'Allemagne et l'Irlande ont transposé la directive "qualification". Le Refugee Act de 1996 en Irlande, l'Asylverfahrensgesetz en Allemagne et le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en France ont été amendés afin d'intégrer la législation européenne. Cependant, la nouvelle version de la directive (2011/95/UE) ne lie pas l'Irlande, qui n'a pas exercé son "opting-in". Cette particularité, permettant une Europe à la carte, est un facteur supplémentaire s'opposant à une harmonisation parfaitement effective au sein des 28 Etats membres.
L'article 2 de la Convention de Genève énonce "l'appartenance à un certain groupe social" parmi les motifs de persécution pouvant justifier la qualification de réfugié. L'article 10 de la directive précise cette notion vague, sans pour autant donner une liste d'exemples ou y inclure expressément les personnes homosexuelles. En outre, les règles prescrites sont minimales, ce qui autorise les Etats à adopter des normes plus protectrices. En principe, l'Allemagne, la France et l'Irlande accèdent aujourd'hui aux requêtes fondées des demandeurs d'asile persécutés en raison de leur orientation sexuelle. Cependant, certaines différences subsistent dans les analyses par ces Etats du motif de persécution.
En Allemagne par exemple certains tribunaux exigent que l'homosexualité du demandeur d'asile soit "irréversible et fatidique" ("mit irreverbsibler, schicksalhfter homosexueller Prägung"). Cette exigence avait été formulée par la Cour fédérale administrative, dans sa première décision en la matière (BVerwG, 15 mars 1988, 9 c 278/86). Elle n'est requise ni en droit français ni en droit irlandais. Cependant, une condition tout aussi subjective et difficile (voire impossible) à apprécier se retrouve en Irlande. Dans certains cas, les autorités irlandaises requièrent une "visibilité sociale" de l'orientation sexuelle du demandeur. Cette exigence fait débat, mais semble être encore d'actualité. Par exemple, dans une décision E v. Minister for Justice, Equality and Law Reform (2008) de la High Court, une jeune femme homosexuelle nigérienne, ayant subi diverses attaques de la part de la société civile et de la police, s'est vue refuser le statut de réfugiée en raison de son orientation sexuelle. Car, selon les juges, elle n'était pas identifiable en tant qu'homosexuelle dans la société (Samantha K. Arnold, Nexus with a Convention Ground: The Particular Social Group and Sexual Minority Refugees in Ireland and the United Kingdom, Irish Law journal 2012, p93 et s. ). Cette exigence de visibilité sociale est contraire au droit de l'UE, et à l'interprétation par le UNHCR de la Convention de Genève (UNHCR Guidelines on international protection n°9, 2012). Dans le futur, après une éventuelle intervention de la CJUE, l'Irlande se conformera peut être aux exigences européennes. Allant dans le sens d'une plus grande effectivité de la protection internationale dans son ordre interne.
Cette exigence, que l'on ne retrouve ni en Allemagne ni en France, se rapproche d'une autre condition : celle de savoir si le demandeur peut agir de façon discrète dans son pays d'origine afin de ne pas afficher son orientation sexuelle dans la sphère publique et d'éviter tout persécution. La France a supprimé cette exigence en 2006 (Commission des Recours des réfugiés, 1er déc 2006, 579547). Jusque récemment, les autorités allemandes refusaient certaines demandes sur ce fondement. Puis le juge européen est intervenu en 2012. Il a estimé que les demandeurs d'asile pour des raisons religieuses ne doivent pas renoncer à exercer leur religion dans la sphère publique (CJUE, 5 sept 2012, C-71/11 et C-99/11). L'Allemagne a appliqué cette décision par analogie aux demandeurs en raison de l'orientation sexuelle. Puis, le 7 novembre 2013, les juges de Luxembourg ont confirmé cette position à propos des personnes homosexuelles, considérant qu' "il n’est [...] pas permis de s’attendre à ce que, pour éviter d’être persécuté, un demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine." En l'espèce, le droit de l'Union a donc eu un effet positif sur la mise en œuvre du régime international en droit allemand, permettant une plus grande protection des personnes homosexuelles.
Les "pays d'origine sûrs"
Au centre du système de Dublin se trouve le principe de responsabilité de l'Etat membre dans le territoire duquel le demandeur d'asile est entré en premier. Si il se rend ensuite dans un autre Etat, celui-ci devra le renvoyer dans l'état responsable. Dans cet optique, le concept européen de pays d'origine sûr a été créé. Tous les Etats membres doivent se reconnaître mutuellement comme pays sûrs. Ils peuvent, en outre, en respectant les critères prévus à l'article 38 de la directive 2013/32/UE (directive "procédure") établir une liste de pays tiers sûrs. Les demandeurs d'asile ressortissants de ces pays seront soumis à un examen plus sommaire et rapide, répondant à une procédure simplifiée. Ce mécanisme illustre les limites de l'harmonisation européenne, à cause, notamment, de la persistance des souverainetés nationales. En effet, les critère établis étant vagues, les Etats restent libres de composer discrétionnairement les listes de pays d'origine sûrs. En pratique, cela donne lieu à des résultats très divers. Actuellement, l'Allemagne, dont les critères d'admission sont le respect de la Convention de Genève de 1951 et de la CESDH ne reconnaît que deux pays tiers sûrs : la Norvège et la Suisse. L'Irlande n'en reconnaît qu'un seul, l'Afrique du Sud. La France a un tout autre point de vue, puisque sa liste compte dix huit pays, dont quatre - le Ghana, l'Inde, le Sénégal et la Tanzanie- considèrent encore l'homosexualité comme illégale. Ces trois exemples prouvent la subjectivité de ces listes. La CNCDH dénonce cet aspect de l'harmonisation européenne, estimant qu'il est dangereux de baser une décision aussi lourde de conséquences sur une base aussi fragile (François Julien-Laferrière, "Réforme de l'asile : respecter les droits de la personne et le droit de l'UE" Commentaire de l'avis de la CNCDH du 28 nov 2013 sur le Régime d'asile commun européen, Dalloz, AJDA 2014, p.727). Sur ce point, il est évident que le régime européen n'entraîne pas une plus grande effectivité de la Convention de Genève dans les différents ordres nationaux. Une question se pose alors : une harmonisation réellement aboutie (avec, par exemple, une liste commune de pays d'origine sûrs) serait-elle synonyme d'une meilleure protection internationale des droits des réfugiés dans les pays membres ?
Les limites du régime d'asile européen : une harmonisation vers le bas
De nombreux défenseurs des droits de l'Homme estiment que l'harmonisation européenne est faite à minima, et davantage dictée par des préoccupations sécuritaires de contrôle des frontières. (Anicet Le Pors, Que sais-je ? Le droit d'asile, P.U.F., 2011, p107 à 122).
La décision commentée accorde, certes, une protection aux demandeurs d'asile craignant d'être persécutés en raison de leur orientation sexuelle. Cependant "le juge de l’Union se révèle, à force de pédagogie, tellement bridé et timoré que le pas en avant communément célébré semble pour le moins modeste." (Caroline Lantero et Marie-Laure Basilien-Gainche, "Statut de réfugié et appartenance à un groupe social (Directive 2004/83/CE) : Une victoire à la Pyrrhus pour les personnes homosexuelles", in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 13 novembre 2013). La CJUE livre une interprétation très stricte de la qualification de réfugié. Elle exige en effet l'existence d'une pénalisation de l'homosexualité dans le pays d'origine, à double titre : afin d'identifier le groupe social comme tel au sein de la société, et afin de caractériser la persécution. Mais, la simple pénalisation ne suffit pas pour constituer la persécution : toute violation des droits fondamentaux reliés à l'orientation sexuelle, comme le droit au respect de la vie privée, ne constituera pas forcément un acte de persécution. La législation pénale devra être accompagnée d'une violation grave des droits des demandeurs d'asile. La CJUE fait prévaloir ici la lex generalis (protection des droits de l'Homme par la CESDH et la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne), selon laquelle ces droits ne sont pas absolus (peuvent faire l'objet de dérogations), sur la lex specialis (droit des réfugiés) ne requérant qu'une "crainte fondée de persécution" (Luc Leboeuf, « Droit d’asile : L’atteinte à la liberté de religion comme persécution » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 11 septembre 2012). Ces conditions posées par la Cour limitent considérablement la reconnaissance du statut de réfugié en raison de l'orientation sexuelle. Cette position est plus restrictive que certaines adoptées dans les ordres juridiques internes.
Ainsi, en 2012, le Conseil d'Etat avait jugé que "la circonstance que l'appartenance au groupe social ne fasse l'objet d'aucune disposition pénale répressive spécifique est sans incidence sur l'appréciation de la réalité des persécutions à raison de cette appartenance qui peut, en l'absence de toute disposition pénale spécifique, reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social considéré, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles"(CE, 27 juil. 2012, n°349824). Les conditions énoncées par le juge administratif français pour caractériser la persécution sont donc beaucoup plus souples que celles ensuite requises à Luxembourg. L'Allemagne a également accordé l'asile à un ressortissant russe en novembre 2013 peu après la décision de la Cour, alors que l'homosexualité n'est pas en soi, pénalisée en Russie. La mise en perspective des jurisprudences françaises et allemandes avec la décision commentée révèle cette harmonisation vers le bas opérée au sein de l'UE. L'interprétation des juges du Luxembourg conduit à une protection moins élevée que celle mise en œuvre dans certains des 28 Etats, et ne les encourage donc pas à une meilleure prise en compte de la Convention de Genève. Il faut néanmoins préciser que ce système commun prescrit des normes minimales, et que rien n'empêche les Etats d'adopter des positions plus protectrices. En outre, si cette harmonisation s'opère a minima au regard des pratiques de certains Etats Membres, elle permet certainement une meilleure protection dans d'autres Etats à l'origine moins protecteurs.
Source commentée
CJUE, Quatrième Chambre, 7 novembre 2013, X., Y., & Z. c. Minister voor Immigratie en Asiel, affaires jointes C-199/12, C-200/12, C-201/12
Sources bibliographiques
Législation :
- Directive "qualification" 2011/95/UE du 13 décembre 2011
- Directive "procédure" 2013/32/UE du 26 juin 2013
Jurisprudence et avis consultatifs :
- CJUE communiqué de presse n° 145/13 Luxembourg, le 7 novembre 2013
- Bundesverwaltungsgericht, 15 mars 1988, 9 c 278/86
- Conseil d'Etat, 23 juin 1997, n°171858
- UNHCR Guidelines on international protection n°9, 2012
- Commission des Recours des réfugiés, 1er décembre 2006, n°579547
- CJUE, 5 septembre 2012, Bundesrepublik Deutschland c/ Y. et Z., affaires jointes C-71/11 et C-99/11
- Conseil d'Etat, 27 juillet 2012, n°349824
Articles de doctrine :
- François Julien-Laferrière, "Réforme de l'asile : respecter les droits de la personne et le droit de l'UE" Commentaire de l'avis de la CNCDH du 28 nov 2013 sur le Régime d'asile commun européen, Dalloz, AJDA 2014, p.727
- Samantha K. Arnold, Nexus with a Convention Ground: The Particular Social Group and Sexual Minority Refugees in Ireland and the United Kingdom, Irish Law journal, 2012
- Caroline Lantero et Marie-Laure Basilien-Gainche, "Statut de réfugié et appartenance à un groupe social (Directive 2004/83/CE) : Une victoire à la Pyrrhus pour les personnes homosexuelles", in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 13 novembre 2013
- Luc Leboeuf, « Droit d’asile : L’atteinte à la liberté de religion comme persécution » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 11 septembre 2012
Ouvrage :
- Anicet Le Pors, Que sais-je ? Le droit d'asile, P.U.F., 2011, p107 à 122
Sites internet :
- www.ilga-europe.org (Matthew Schutzer "Status of asylum in european member states")