L’originalité du logiciel - Commentaire de la décision de la Cour de cassation italienne, civile, Sez. I, 12 janvier 2007, par Thérèse Meyer

En droit italien comme en droit français, le logiciel, comme toute œuvre de l’esprit, doit présenter un caractère original pour être protégé par le droit d’auteur. Selon la Cour de cassation italienne, l’originalité du logiciel subsiste même si celui-ci est « composé d’idées et de notions simples, comprises dans le patrimoine intellectuel de personnes ayant de l’expérience dans la matière de l’œuvre, tant que formulées et organisées de façon personnelle et autonome respectivement aux précédentes ».

 

INTRODUCTION

Le logiciel est défini par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle comme « un ensemble d’instructions pouvant, une fois transposé sur un support déchiffrable par machine, faire indiquer, faire accomplir ou faire obtenir une fonction, une tache ou un résultat particuliers par une autre machine capable de faire du traitement de l’information ». Plus précisément la conception d’un logiciel commence par l’élaboration d’un algorithme qui est ensuite exprimé par l’auteur selon la forme de son choix, c’est ce que l’on appelle le code source. Ce code est ensuite transformé en langage binaire appelé code objet pour permettre à l’ordinateur de le lire. Dans les années 70, la volonté de développer la recherche dans le secteur du logiciel et de protéger les investissements importants qu’il nécessite a conduit à une réflexion sur son encadrement juridique.

Le caractère technique et immatériel du logiciel distingue ce dernier des œuvres de l’esprit plus traditionnelles. Le débat s’est donc porté sur le choix entre une protection par le droit d’auteur ou par le droit des brevets. En France comme en Italie, la jurisprudence et une grande partie de la doctrine ont opté pour une protection par le droit d’auteur. La France est le premier pays européen ayant interdit la brevetabilité du logiciel (art 7, loi 68 du 2 janvier 1968), avant de reconnaitre expressément, par la loi du 3 juillet 1985, le logiciel comme une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. Par la suite, la Directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (ci-après la Directive 91/250/CE), dans un souci d’harmoniser les législations européennes, a assimilé les logiciels aux œuvres littéraires (article 1). Cette Directive a été transposée en Italie par le Décret Loi du 29 décembre 1992 n.518 (ci-après D.L 518/1992), qui a modifié la loi 633/1941 (ci après « Lda »).  Comme toute œuvre de l’esprit, le logiciel doit donc être original pour être protégé par le droit d’auteur (art 1 al 3 Directive 91/250/CE, art 2 D.L 518/1992, Cass. ass. plén., 7 mars 1986, Pourvoi n°83-10477). L’interprétation de cette condition d’originalité était en cause dans l’affaire Oil Meter jugée par la Cour de cassation italienne le 12 janvier 2007 (civile, Sez. I,12 janvier 2007 ,n. 581).

En l’espèce, la société Fintag s.r.l (ci après « Fintag ») consentit à la société Oil Meter sistemi s.r.l (ci après « Oil Meter ») une licence d’utilisation de son logiciel, comprenant une clause de rachat. La Oil Meter, reprocha à la Fintag de lui avoir cédé l’utilisation d’un logiciel qui n’était pas original au sens de l’article 2 Lda qui protège « les programmes d'ordinateur, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont exprimés, pourvu qu'ils soient originaux et résultent de la création intellectuelle de l'auteur», et refusa en conséquence de payer sa licence d’utilisation. De plus elle accusait la Fintag d’avoir cédé un logiciel similaire à une société concurrente, s’étant ainsi rendue coupable de contrefaçon et concurrence déloyale au sens de l’art 64-bis Lda.

Le 3 mai 1994 le Président du Tribunal de Milan ordonna à la Oil Meter de payer la somme due au titre du contrat d’utilisation du logiciel. La Oil Meter fit alors opposition au décret d’injonction de payer et cita en justice la Fintag. Mais, le Tribunal de Milan, le 13 juillet 2000, rejeta l’opposition de la Oil Meter au décret d’injonction de payer ainsi que toutes ses autres demandes et prononça la résolution du contrat en faveur de la Fintag s.r.l.  Par un arrêt du 25 février 2003, la Cour d’Appel de Milan, confirma la décision du Tribunal estimant que le logiciel cédé à la société concurrente devait être considéré comme différent du premier, qu’il n’y avait pas eu par conséquent d’acte de contrefaçon ni de concurrence déloyale et que le logiciel étant original, le contrat ne pouvait être considéré comme nul.

La Oil Meter s’est alors pourvue en cassation, mais la Cour de cassation rejeta ses arguments, estimant que « la créativité et l’originalité subsistent même si l’œuvre est composée d’idées et de notions simples comprises dans le patrimoine intellectuel de personnes ayant de l’expérience dans la matière de l’œuvre, tant que formulées et organisées de façon personnelle et autonome respectivement aux précédentes ». Par cette décision la Cour de cassation affirme ainsi que deux logiciels présentant une architecture de base et une fonction similaires mais possédant chacun une architecture applicative propre, peuvent être considérés comme originaux.

 

I) Une protection basée sur le principe d’originalité et le droit d’auteur

La protection du logiciel par le droit d’auteur est accordée à condition que celui-ci soit orignal (A). La Cour de cassation rappelle que le siège de l’originalité est la mise forme des idées à la base du logiciel de façon personnelle et autonome (B).

A) L’évolution de la notion d’originalité face au caractère utilitaire du logiciel

Traditionnellement dans les pays de Civil Law, dont font parties la France et l’Italie, l’originalité est envisagée comme étant l’expression de la personnalité de l’auteur de l’œuvre. Cette notion, a priori très subjective fut préalablement élaborée pour des œuvres d’art pur. Or le logiciel, étant une œuvre avant tout vouée à résoudre un problème technique, laisse peu de fantaisie à son créateur dans sa réalisation. Il parait alors assez difficile de parvenir à y trouver l’expression d’une quelconque personnalité de son créateur. C’est pourquoi la notion d’originalité a évolué pour s’adapter au caractère utilitaire du logiciel. Deux décisions fondamentales des Cours de cassation française et italienne ont rapproché la notion d’originalité de la notion de nouveauté, que l’on connaît en droit des brevets d’invention. Dans un arrêt du 24 novembre 1986, la Cour de cassation italienne a estimé qu’ « un logiciel est le produit de l’effort particulier d’un intellect particulièrement éduqué (…), [que] la créativité du logiciel est donnée par la nouveauté et l’originalité de l’effort intellectuel (…), [et que] les créateurs de logiciels expriment des solutions originales aux problèmes lorsqu’ils programment de façon meilleure par rapport au passé des idées même si de façon à peine appréciable » (24 novembre 1986, In Foro it., 1987, II, 289). Dans le même sens, la Cour de cassation française a retenu que « le logiciel est original si l’auteur de l’œuvre a fait preuve d’un effort personnalisé allant au delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, et que la matérialisation de l’œuvre réside dans une structure individualisée (…). Le « logiciel est original dès lors qu’il porte la marque de l’apport intellectuel » (Ass. Plén., 7 mars 1986, Babolat c/ Pachot, Pourvoi n°83-10477).

L’originalité du logiciel doit donc être évaluée à la lumière des antériorités. Il suffit que le logiciel ne constitue pas une copie ou une imitation du précédent. L’effort créatif de l’auteur se trouve dans le choix qu’il effectue entre différentes options qui ne doit pas être exclusivement dicté par une contrainte technique.

Par ces deux arrêts, la notion d’originalité s’est ainsi rapprochée de la vision plus objective des pays de Common Law. En effet dans ces pays la notion d’originalité est évaluée selon les critères du travail ou de l’effort de l’auteur, et de la non copie d’une œuvre déjà existante. Ces critères sont plus objectifs que celui de l’empreinte personnelle de l’auteur. Ainsi, l’originalité de l’œuvre est moins centrée sur la personne de l’auteur et la notion devient plus économique. La Directive 91/250/CE a confirmé cette nouvelle approche de l’originalité affirmant que « le logiciel est original en tant que création intellectuelle propre à son auteur, [et que] aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection » (art.1 al.3). L’originalité du logiciel est donc nécessaire et suffisante par en obtenir la protection par le droit d’auteur.

 

B) Le siège de l’originalité du logiciel

Conformément au droit commun du droit d’auteur, les idées et les principes à la base des éléments d’un programme d’ordinateur sont expressément exclus de la protection du droit d’auteur (art 1.2 de la Directive 91/250/CE). Ne sont donc pas protégés par le droit d’auteur : les fonctionnalités, les algorithmes, les interfaces, les langages de programmation. Ainsi, seule la mise en forme des idées est protégée par le droit d’auteur, c'est-à-dire son architecture, son code source, son code objet et ses différentes versions. La forme du logiciel est protégée à condition qu’elle soit originale (art 1 al 3 Directive 91/250/CE, art 2 D.L 518/1992, Cass. ass. plén., 7 mars 1986, Pourvoi n°83-10477).

En l’espèce le requérant reprochait le manque d’originalité du logiciel en tant qu’ « application banale de principes connus » et demandait donc que soit reconnue la nullité du contrat de cession. Selon la jurisprudence constante italienne, la Cour de cassation estime cependant que la créativité et l’originalité subsistent même si l’œuvre est composée d’idées et de notions simples tant que celles-ci sont formulées et organisées de façon personnelle et autonome par rapport aux précédentes. La protection par le droit d’auteur s’acquiert en effet indifféremment du degré d’originalité (dans le même sens Ccass française, 19 janvier 2010, n° de pourvoi : 08-15216). En l’espèce, la Cour de cassation vérifie alors si les juges du fond ont apprécié l’originalité du logiciel à la lumière du précédent mis en évidence par le requérant.

 

II) L’appréciation de l’originalité du logiciel

Le faible degré d’originalité des logiciels requis par la jurisprudence en application du droit d’auteur (A), incite la réflexion sur la nécessité ou non de l’application du droit des brevets à ces derniers (B).

A) Un faible degré d’originalité

Les deux logiciels en cause présentaient « une similitude d’architecture et de caractéristiques fonctionnelles ». Selon le requérant, le deuxième logiciel n’était donc pas original mais au contraire « devait être considéré comme une œuvre dérivé du premier ». D’après lui, la Fintag avait commis un acte de contrefaçon car «la reproduction, l’adaptation ou toute modification ne peuvent être effectuées sans l’autorisation du titulaire des droits d’exploitation » (article 64 bis ter et quater Lda et Art. L. 122-6 du Code de Propriété Intellectuelle français), c'est-à-dire dans le cas concret sans l’autorisation de la Oïl Meter. Cependant la Cour d’Appel, sur la base des conclusions de l’expert, a jugé que le premier logiciel, cédé en usage à la Oil Meter, devait être considéré comme différent de celui postérieurement élaboré par la Fintag et que par conséquent la réélaboration du logiciel ne constituait pas un acte de contrefaçon vis-à-vis du cocontractant. En effet « tous les logiciels présentent une architecture de base similaire, ce qui n’empêche pas de mettre à jour la spécificité d’un simple produit en tant qu’innovation dans l’adaptation de l’architecture de base à l’environnement technologique spécifique». L’effort créatif de l’auteur se situe donc dans sa faculté d’adaptation de l’architecture de base du logiciel à un nouvel environnement technologique. Dès lors, l’originalité du logiciel subsiste même si le second logiciel est une œuvre dérivée du premier tant que l’auteur apporte un minimum de créativité à son œuvre. Ainsi, comme le rappelle l’auteur français Christophe Caron « les logiciels étant des créations très fréquemment évolutives, ils seront souvent dérivés, ce qui impliquera de rechercher l’originalité de telle mise à jour du code source » (Christophe Caron, Droit d’auteur et droits voisins, ed Litec 2ème édition, 2009 p140). Si l’originalité se doit d’exister, le degré requis pour le logiciel est donc faible. Cela tient à son caractère utilitaire.

 

B) La question récurrente de la brevetabilité

Dans cet arrêt, la Cour de cassation abaisse de façon significative le niveau d’originalité requis pour consentir une protection au logiciel par le droit d’auteur. Cette décision montre comment la jurisprudence italienne, comme celle française, pour protéger des œuvres techniques, a dû renouveler le concept d’originalité, né à l’origine pour des œuvres d’art. Sans innover sur ce thème, cette décision incite à la réflexion sur l’application du concept d’originalité aux logiciels et par conséquent sur la protection de ces derniers par le droit d’auteur, l’alternative étant les protéger par le droit des brevets. Le débat n’est toujours pas clos : la question de la protection du logiciel reste « essentielle non seulement pour l'industrie des logiciels mais aussi pour toutes les autres industries » (http://www.wipo.int/sme/fr/documents/software_patents.htm).

Les raisons de la protection des logiciels par le droit d’auteur sont multiples. D’abord, elle permet une protection facile et instantanée puisqu’elle est accordée dès la création du logiciel sans que soit nécessaire aucune forme de dépôt. Ensuite, l’impossibilité de breveter les idées et les principes à la base des logiciels évite tout monopole et garantit donc la libre recherche dans le secteur. Cependant, cette protection par le droit d’auteur ne fait pas l’unanimité. En effet un degré d’originalité trop faible risque de protéger des logiciels qui n’ont pas de caractère original et de provoquer l’effet inverse de celui recherché en décourageant les investissements. De plus, les éléments à la base du logiciel ont souvent une valeur commerciale importante et les industriels du secteur demandent régulièrement de pouvoir garantir leurs investissements par l’obtention de brevets sur ces éléments.

Le 20 février 2002, la Commission Européenne a proposé une Directive "concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur". Cette proposition était motivée par le fait que la jurisprudence de l’Office Européen des brevets considère le logiciel comme une invention brevetable lorsque « la mise en œuvre produit des caractéristiques techniques nouvelles et inventives ». De plus, étant donné que les Etats-Unis permettent la brevetabilité des logiciels à certaines conditions, pour les défendeurs à la brevetabilité du logiciel, l’interdiction de breveter ces derniers « met en péril la compétitivité de l’Europe dans ce domaine ». Cependant la proposition de la Commission a été rejetée devant la contestation qu’elle a suscitée. Mais il n'est pas certain que le rejet de cette proposition soit définitif. En Europe, la brevetabilité du logiciel s’écrit en tout cas avec des pointillés.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Manuels

- Christophe Caron, Droit d’auteur et droits voisins, ed Litec 2ème édition, 2009.

- Pierre Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, ed Puf droit, 7ème édition, 2010.

- Carolina Pastore, la tutelabilità del software dans Giuseppe Cassano, Diritto delle nuove technologie informatiche e dell’internet, ed IPSOA s.r.l, 2002.

- Massimo Farina, Diritto e nuove Tecnologie, ed experta, 2007.

 

Revues

- Diritto industriale 05/2007, Bimestrale di dottrina e giurisprudenza sulle creazioni intellettuali e sulla concorrenza, l’originalità del software, di Ida Palombella, ed Wolters Italia S.r.l, 2007

- Diritto e Giustizi@, il quotidiano di informazione giuridica, Elaborazione di prodotti software, per la tutela occorre l’effettiva originalità, di Valeria Bellani.

 

Textes

- Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, abrogée par la Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur ;

- Proposition de Directive du Parlement Européen et du Conseil concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur du 20 février 2002;

- Convention sur le brevet européen (CBE 1973) ;

- Decreto legislativo 29 dicembre 1992 n. 518, Attuazione della direttiva 91/250/CEE relativa alla tutela giuridica dei programmi per elaboratore;

- Loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.

Site internet

http://www.wipo.int/sme/fr/documents/software_patents.htm