L’utilisation dans une procédure allemande d’un témoignage recueilli en France sans information préalable des avocats - par Audrey Goudon de Lalande

Le droit communautaire a réglé l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres dans une Convention du 29 mai 2000. Certains aspects de la procédure pénale restent toutefois soumis aux lois nationales des pays qui s’entraident. Cela vaut notamment lorsqu’un Etat souhaite procéder à une audition de témoins à l’étranger. En effet, les lois relatives à la commission rogatoire varient beaucoup d’un pays à l’autre. Ainsi, si la loi allemande ne permet pas qu’un témoignage soit utilisé comme moyen de preuve lorsque la défense n’a pas été informé de l’audition du témoin, la loi française le permet grâce au principe du secret de l’instruction menée par le juge d’instruction.

Analyse reposant sur la décision de la Cour fédérale allemande (BGH) du 15.3.2007, 5StR 53/07 (LG Stuttgart

Depuis 2000, une harmonisation au niveau européen est intervenue en matière de coopération judiciaire entre les Etats membres, mais certaines questions restent soumises au droit national de chaque pays. La Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres entrée en vigueur le 29.5.2000 vise en effet à régler les entraides entre les Etats membres dans la branche pénale du domaine judiciaire, sans pour autant couvrir tous les aspects de la procédure pénale. Pourquoi donc laisser, dans certains cas, leur souveraineté aux Etats, alors qu’on se situe dans une perspective d’harmonisation? La réponse à cette interrogation trouve son origine dans les difficultés soulevées dans la pratique en raison des divergences de législation d’un pays membre à l’autre.

Une décision très intéressante de le Cour fédérale allemande du 15.03.2007 évoque ce problème de divergence de lois entre les pays et souligne le grand intérêt du nouvel article 4I introduit le 2.2.2006 dans la Convention de 2000 évoquée plus haut. La Cour allemande met en lumière le manque de cohérence résultant de l’application du droit étranger lors d’une enquête effectuée par un Etat membre dans le pays étranger. Le droit allemand de la procédure pénale diffère en effet beaucoup, sur certains points, de la loi française. Il en résulte qu’un même élément est utilisé comme moyen de preuve dans un pays, alors que dans un second pays, le juge ne peut en aucun cas le faire valoir.

En droit allemand, la procédure pénale est régie par le principe du contradictoire. Selon ce principe, que le droit français connaît d’ailleurs aussi, le procès est l’occasion d’un véritable échange entre les parties. Il est aussi à rapprocher de la notion de droits de la défense. Cela signifie notamment que chaque partie à le droit d’être mise au courant de l’évolution du procès par le juge. Inversement, le juge est dans l’obligation de fournir aux parties les éléments qui apparaissent au cours du déroulement du procès. Le principe du contradictoire implique par exemple que les mesures de recherche de preuve soient menées en présence des parties et de leur conseil. Si le juge entend procéder à une audition de témoins, il est dans l’obligation d’en informer au préalable les parties ainsi que leur défense. Le droit allemand attache d’ailleurs tellement d’importance à cela que le législateur a pris soin de légiférer à ce sujet. Le § 168c V StPO (code de procédure pénale allemande) énonce en effet l’obligation pour le juge d’informer les parties d’une future audition de témoin. Si le juge manque à cette obligation, il ne pourra en aucun cas faire valoir le témoignage recueilli comme moyen de preuve.

En France, par contre, le secret de l’instruction menée par le juge d’instruction figurant à l’article 11 du code de procédure pénale conduit à l’effacement pour les parties au procès et pour leurs conseils de tout droit d’information en ce qui concerne le déroulement de l’instruction. On comprend alors l’insatisfaction du juge allemand qui effectue une audition de témoin en France, et qui, avant l’introduction de l’article 4I de la Convention, devait se voir appliquer le droit français relatif à l’audition de témoin.

Analysons donc successivement l’évolution du droit communautaire intervenue avec l’introduction de l'article 4I dans la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membre, la loi allemande, puis la loi française. Interrogeons nous enfin sur la pertinence d’une éventuelle reprise de principes du droit allemand par le droit français afin de restituer aux parties au procès ainsi qu’à leur défense leur droit d’être entendu en Justice dans son intégralité.

I. L’évolution du droit communautaire

En droit communautaire, la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres est entrée en vigueur le 29.5.2000. Cette Convention vise à régler les entraides entre les Etats dans la branche pénale du domaine judiciaire. Ainsi, la Convention régit la répartition des compétences entre les Etats dans ce domaine judiciaire. Dans de nombreuses procédures pénales, certaines étapes de la procédure doivent avoir lieu à l’étranger, comme par exemple l’audition de témoins dans un pays autre que celui où se déroule la procédure. La Convention énonce donc quelle est la loi nationale qui s’applique dans cette situation. Jusqu’au 1.2.2006, la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres désignait comme applicable la loi du pays dans lequel était effectuée l’audition.

L’application des règles de répartition des compétences de la Convention a donné lieu à de sérieux problèmes d’incohérence entre les solutions apportées par les Etats dans un même domaine. L’audition de témoins est d’ailleurs un domaine dans lequel beaucoup de difficultés sont apparues. Une grande incohérence est notamment abordée dans une décision récente du BGH (Cour fédérale allemande) datant du 15.3 .2007. Dans cette affaire, le juge allemand a recouru à une audition de témoin en France alors que la procédure pénale se déroulait en Allemagne. En référence à la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres du 29.5.2000, l’audition du témoin en France fut effectué conformément aux dispositions françaises relatives à l’audition de témoins dans une procédure pénale. Dans sa décision, la Cour fédérale allemande pointe du doigt l’incohérence entre la loi allemande et la loi française. Il s’agissait dans l’affaire en question de faire valoir une audition de témoins comme moyen de preuve, sans que la défense n’ait été informée de cette audition par le juge. Puisque le droit français devait être appliqué, le témoignage pouvait être utilisé comme moyen de preuve. L’application de la loi française négligeait alors une exigence essentielle posée par le droit allemand en matière d’audition de témoins : l’obligation d’en informer les avocats. La Cour fédérale allemande a donc rappelé le nouveau principe énoncé par la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres contenu dans son article 4 I, qui vient remédier au problème d’incohérence entre les solutions apportées par les différents Etats membres.

La solution apportée par le droit communautaire s’est concrétisée par l’introduction dans la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’article 4 1, entré en vigueur le 2.2.2006. Comment en effet accepter qu’une procédure pénale allemande doive, pour une question comme celle d’une audition de témoin en France, se soumettre à la loi française qui vient contredire la loi allemande ? Cela entraîne à la fois une incohérence au sein de la procédure elle-même et au regard du principe de l’entraide entre les Etats membres. Comment parler d’une entraide si le pays qui requiert l’aide d’un second pays est contraint à voir sa propre loi mise à l’écart au profit d’une loi étrangère qui vient contredire ses principes ? C’est en réponse à ces interrogations que l’article 4 I a vu le jour. Il vient inverser la règle qui prévalait jusqu’alors. Désormais, la loi du pays requérant s’applique lorsqu’une audition de témoin s’effectue à l’étranger. Au regard des différences relatives aux procédures pénales d’un pays à l’autre que nous allons analyser maintenant, une telle solution paraissait incontournable.

II. Analyse des lois allemandes et françaises

Loi allemande fait primer le Principe directeur du droit d’être entendu en justice qui découle de l’article 103 GG (Constitution allemande) ainsi que de l’article 6 CESDH qui garantie le droit à un procès équitable.

L’Art 103 GG (Constitution allemande) garantie à chaque partie au procès le droit d’être entendue en Justice. Ce principe a d’ailleurs été rappelé dans une importante décision de la Cour Constitutionnelle allemande en 1975 (BverfG 75, 201). Ce principe contient le droit d’information des parties qui permet de prendre connaissance des processus importants de la procédure pénale. Inversement, l’article 103 I GG sous entend l’obligation pour la Cour d’informer les parties sur les éléments importants de la procédure (BverfG 89, 28) . Seuls peuvent être pris en compte, lors de l’établissement d’un jugement, les faits et les éléments de preuve sur lesquels les parties ont pu prendre position (BverfG 5, 24).

Le §168c V StPO (Code de procédure pénale allemand) énonce clairement l’obligation pour les juges de procéder à l’information des avocats lors d’une audition de témoins. Cette obligation se nomme Benachrichtigungspflicht en allemand. Le législateur allemand exprime ainsi une exigence qui ne peut en aucun cas être contournée. Rien ne peut justifier de contourner la règle, si ce n’est dans les cas que le législateur a lui même énumérés limitativement.

Les exceptions au principe allemand d’obligation d’information par les juges figurent au § 168c V S2. La loi énonce que lorsque les résultats de l’enquête sont mis en péril, l’obligation d’information peut disparaître. On entend par résultats de l’enquête l’obtention d’un témoignage conforme à la vérité qui pourra être utilisé dans une phase ultérieure de la procédure. Le législateur n’a cependant pas énoncé quand une telle situation est donnée. Lorsqu’il n’est pas sûr que les résultats de l’enquête soient mis en péril, c’est au juge de trancher ce problème au cas par cas (BGH Urteil vom 2.5.1979 = NJW, 1980, 1056) Dans une arrêt du 2.5.1979, la Cour fédérale allemande s’est interrogée sur l’existence d’une mise en péril des résultats de l’enquête et a affirmé qu’une telle mise en péril ne peut pas reposer sur des éléments qui touchent la personne appelée à témoigner. En ce sens, le seul fait pour un témoin de prétendre avoir subi une pression de la part de l’accusé l’empêchant de rendre un témoignage véridique ne constitue pas une telle mise en péril des résultats de l’enquête.

Dès lors qu’un témoignage a été recueilli en violation du devoir d’information de la défense, le juge allemand fait face à une interdiction d’utiliser ce témoignage comme élément de preuve (Verwertungsverbot). La Cour suprême allemande justifie cette interdiction d’utiliser le témoignage comme moyen de preuve lorsque l’obligation d’information a été contournée par la violation du droit d’être entendu en Justice et du principe de l’égalité des armes (BVerfG 65, 135). Le droit français emprunte une voie tout à fait autre en ce qui concerne l’utilisation d’une preuve résultant d’une audition de témoin dont la défense n’a pas pu prendre connaissance.

Rappelons que contrairement à bon nombre d’autres démocraties, la procédure pénale française est basée sur un système dit « inquisitoire» : l'instruction (écrite, secrète et non contradictoire) est menée d’autorité par le juge d’instruction sans que les parties défenderesses ne jouissent de véritables contre-pouvoirs en ce qui concerne la décision du juge de procéder à une audition de témoin.

Bien que le principe du contradictoire soit l’un des principes directeurs et donc fondamental dans la procédure pénale, l’instruction menée par le juge d’instruction est régie par le principe du secret de l’instruction contenu dans l’article 11 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel ». En effet, en raison de l’indépendance qui lui est accordée, le principe du contradictoire se trouve écarté. Cette indépendance du juge d’instruction permet à celui-ci d’enquêter comme il l’entend et de réaliser tout acte utile à la manifestation de la vérité. Personne ne peut lui donner d'ordres et il est libre de mener les investigations qu'il juge utiles. Cependant, cette indépendance n'est pas sans contrôle, il y a plusieurs règles qui sont applicables. D'abord, le juge "instruit à charge et à décharge" (art. 81, al. 1 du code de procédure pénale). Le juge doit également instruire dans un délai raisonnable (art. 175-2), ce qui suppose souvent de faire des choix et d'écarter des investigations qui ne pourraient être menées dans un délai raisonnable.

Le juge d’instruction dispose donc de larges pouvoirs d’enquête, comme celui de procéder à l’audition de toute personne. La phase d’enquête ayant été mise entre les mains du juge d’instruction par le parquet, la défense ne dispose d’aucun droit d’information. Même si la défense a la possibilité d’être tenue informée du déroulement de l’enquête, aucune obligation n’incombe au juge d’informer ab initio la défense des mesures d’instruction futures. Cela explique l’absence d’information des avocats lors d’une décision venant du juge d’instruction de procéder à une audition de témoin.

Il apparaît clairement que loi française donne plus d’importance à l’efficacité de l’instruction: la défense n’est pas nécessairement informée d’une audition de témoins par le juge. Le secret dans lequel le juge procède à ses investigations entraîne une réelle atteinte aux droits de la défense. On pourrait même prétendre que le principe du droit d’être entendu en Justice de l’article 6 CESDH s’en trouve lui aussi bafoué. C’est du moins ce que jugerait le juge allemand.

III. Loi allemande comme modèle ?

Il apparaît, à la comparaison entre le système juridique allemand et celui de la France, que ceux-ci poursuivent des objectifs tout à fait opposés. La loi allemande, comme nous l’avons vu, vise en premier lieu à la protection des droits de la défense. Elle ne laisse qu’une place secondaire à l’efficacité de la procédure pénale. Le juge ne peut pas se servir d’une audition de témoin comme élément de preuve dès lors qu’une des parties au procès n’a pas pu avoir l’occasion de réagir par rapport à cet élément de preuve. Le procès est avant tout un échange entre les parties, aucune ne peut être désavantagée au profit de l’autre. Le principe du contradictoire reste maître. La loi française au contraire, de par le caractère non-contradictoire et donc secret de la procédure dirigée par le juge d’instruction, poursuit le seul objectif de l’efficacité de la procédure. A vrai dire, les parties sont mises de côté, elles n’ont pas leur mot à dire, tout est entre les mains du juge d’instruction qui dirige son investigation en chef d’orchestre : lui seul a entre les mains toutes les partitions des parties au procès.

Cette forte opposition entre ces deux systèmes juridiques étudiés amène à s’interroger sérieusement sur la loi française en ce qui concerne l’utilisation comme moyen de preuve de témoignages effectués sans information préalable de la défense dans le cadre d’une procédure pénale. On peut se demander quel intérêt il y a à conférer autant de pouvoirs au juge d’instruction au détriment des parties au procès, qui sont pourtant maîtres de leur procès. La loi française dessert les parties au procès. Pour remédier à l’absence de droits conférés à la défense, une solution possibles serait de faire primer, comme en droit allemand, le droit d’être entendu en Justice dans le cadre d’utilisation de preuve dans une procédure pénale. La défense aurait ainsi, comme en droit allemand, un droit à l’information par le juge de ce que celui-ci envisage dans le cadre de la procédure, comme par exemple de procéder à une audition de témoins.

Bibliographie

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