La suspension du contrat de travail et la réduction du temps de travail pour causes économiques en Droit espagnol, suite à la réforme de la loi 35/2010 - Par Tiago Da Silva
La suspension du contrat de travail et la réduction du temps de travail pour causes économiques en Droit espagnol, suite à la réforme de la loi 35/2010.
Tiago Da Silva
Mots clés : chômage partiel, chômage partiel total, suspension contrat de travail, réduction temps de travail, indemnisation, allocations, droit du travail, flexibilité interne, réforme 2010, loi 35/2010.
Résumé : Face à la crise actuelle de l’emploi et suite aux meilleurs résultats enregistrés en 2010 en Espagne en matière de sauvegarde de l’emploi, la loi 35/2010 a été mise en place pour poursuivre cette avancée en améliorant les mécanismes de suspension du contrat de travail et de réduction du temps de travail. Pour ce faire, le législateur a tenté de les rendre attractifs par rapport au licenciement économique, non seulement auprès des entreprises mais également auprès des salariés. Ainsi, la réforme a avant tout défini de manière plus nette la différence entre ces deux mesures en donnant à la réduction du temps de travail une vraie place au cœur de la législation espagnole avant de revenir sur l’indemnisation même des salariés ainsi que sur la possible réouverture de leurs droits aux allocations chômage en cas de licenciement économique ultérieur. Les entreprises ne sont, quant à elles, pas en reste puisque la réforme opère également des modifications au sujet des bonifications accordées, celles-ci pouvant dès lors atteindre 80% des cotisations de sécurité sociale.
« Lutte, réduction et amélioration sont les trois termes-clefs du langage politique. Ils ont l’avantage de pouvoir être accolés indifféremment à inflation, déficit, finances publiques… Et toutes les combinaisons sont possibles » disait Jacques Mailhot dans La politique d’en rire. Ces différents termes pourraient tout aussi bien se trouver en adéquation avec la crise de l’emploi constatée en Espagne et, par là même, constituer des mots-clefs de la loi 35/ 2010 qui se veut à la fois salvatrice pour les emplois et amélioratrice des conditions de travail et de la protection sociale. En effet, si la loi 35/2010 a privilégié avant tout les modifications substantielles des conditions de travail comme mesures permettant un maintien de l’emploi, elle n’a pas pour autant négligé l’adoption de mesures de réduction du temps de travail pour causes économiques, lesquelles peuvent intervenir soit à travers la suspension du contrat de travail, soit par la réduction de la durée du temps de travail. Ainsi, s’il est vrai que ces deux mécanismes inspirés du droit allemand ne sont pas à proprement parler des nouveautés proposées par la loi 35/2010, ils occupent néanmoins une place de choix, au cœur de la loi qui tente de les ériger comme un dispositif attractif face au licenciement économique. De fait, le législateur a envisagé ces mesures comme des mécanismes pouvant offrir une flexibilité interne de l’entreprise plus effective (objectif du Chapitre II de la loi 35/2010), dans le sens où elles permettent à l’entreprise de s’ajuster au marché et à ses besoins, sans pour autant négliger les salariés qui ne perdent pas leur emploi et se voient protégés grâce au système de protection du chômage. Dans cette perspective, et face à la destruction massive des emplois constatée en Espagne, la loi 35/2010 se fixe pour objectif d’améliorer « le modèle allemand » et de mettre un terme aux licenciements économiques ou, du moins, les limiter en offrant au chef d’entreprise des mesures alternatives qui viennent augmenter le champ d’application de son pouvoir de direction. Cela lui permet, par conséquent, de faire face aux difficultés rencontrées dans ce contexte de crise économique. Cette réforme prend alors appui sur les résultats encourageants dégagés en 2010 selon lesquels les licenciements économiques se seraient vus réduits de moitié au profit d’un maintien de plus de 250.000 emplois. La flexibilité interne de l’entreprise, et donc la suspension du contrat de travail ou la réduction du temps de travail pour causes économiques, est alors envisagée comme une mesure favorisant le maintien de l’emploi et qui doit être privilégiée dans tous les cas face à une éventuelle mesure de licenciement et par conséquent d’extinction du contrat de travail.
De là, force est de constater que la réforme apportée par la loi 35/2010, et plus particulièrement son Chapitre II relatif à la flexibilité interne négociée au sein de l’entreprise, se veut la solution adéquate à la crise de l’emploi en se donnant les moyens d’endiguer le phénomène. Pour cela, elle induit de nombreuses modifications qui affectent non seulement l’Estatuto de los Trabajadores (ET), mais également la Ley General de Seguridad Social (LGSS) ainsi que la loi 27/2009, dite de mesures urgentes pour le maintien et le développement de l’emploi et la protection des chômeurs.
Ainsi, des questions se posent sur le contenu de la réforme, et plus particulièrement sur les moyens qu'elle met en place pour atteindre son objectif. En effet, les mécanismes instaurés par la loi 35/2010 sont-ils, en fin de compte, efficaces et constituent-ils une alternative réelle au licenciement économique ? Par ailleurs, les conséquences de la crise constatées en Espagne ne constituent pas un cas isolé et il semble donc intéressant d’étudier le cas français en parallèle, lequel diffère sur de nombreux points tant au niveau de la manière dont ces mécanismes sont envisagés qu’en ce qui concerne les règles à leur appliquer.
Notion de suspension de contrat et de réduction du temps de travail pour causes économiques
Le premier apport de la loi 35/2010 est l’introduction dans la loi, à l’article 47 de l’ET, de la réduction du temps de travail pour causes économiques. En effet, avant l’entrée en vigueur de cette loi, seule la suspension du contrat de travail était envisagée par l’ET. Toutefois, la réduction du temps de travail n’était pas pour autant une solution inenvisageable, elle était tout simplement considérée par le législateur comme une des manières de mettre en œuvre la suspension et pouvait être mise en œuvre en se fondant sur les mêmes règles. La loi 35/2010 a donc voulu distinguer ces deux notions en désignant expressément la réduction du temps de travail comme mesure propre à l’article 47.2 de l’ET, laquelle se voit désormais appliquer quelques règles spécifiques.
L’article 47.1 définit la suspension du contrat de travail pour « causes économiques, techniques, d’organisation ou de production » comme une solution à appliquer en cas de difficultés de caractère conjoncturel qui affectent l’entreprise de manière temporaire. Dans un tel cas, le salarié demeure lié à l’entreprise, son contrat de travail est simplement suspendu temporairement ; il ne doit plus fournir la prestation de travail définie dans son contrat de travail mais il ne perçoit plus par conséquent le salaire lié à l’exécution de ces prestations. A l’inverse, en cas de réduction du temps de travail (article 47.2), si la mesure se veut également temporaire (sans quoi l’accord du salarié serait requis, Tribunal Constitucional 213/2005), elle diffère néanmoins car elle ne sera caractérisée qu’en cas de réduction comprise entre 10% et 70% de la durée du temps de travail sur sa base journalière, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Ainsi, en deçà et au-delà de ces limites, ne pourront pas être appliquées les règles relatives aux réductions du temps de travail pour causes économiques.
A première vue, la distinction entre les deux concepts semble nette ; pourtant, il apparaît plus difficile de discerner la différence lorsque la réduction du temps de travail ne s’apprécie plus par rapport à la référence journalière mais plutôt par rapport à une référence supérieure à celle-ci. Cette difficulté de caractérisation peut paraitre anodine mais elle revêt une importance essentielle en droit espagnol puisqu’une réduction du temps de travail prise sur une référence supérieure à une base journalière pourra être considérée dans certains cas être en réalité une suspension du contrat de travail et se voir donc indemnisée différemment. En effet, si la réduction du temps de travail s’apparente, comme en droit français, au chômage partiel (article 203.3 de la LGSS), le droit espagnol s’en écarte en ce qu’il considère la suspension du contrat de travail comme caractéristique du chômage total (article 203.2). Ainsi, le droit français considère le chômage partiel caractérisé en cas de « réduction du temps de travail en deçà de la durée légale » ou de suspension du contrat de travail « lié à la fermeture de l’établissement ou partie de l’établissement » (article L5122-2 du Code du Travail), là où le droit français distingue les deux situations ; par la suite, si la situation se prolonge au-delà de six semaines ou que le contingent annuel d’heures indemnisables a été atteint, celle-ci sera caractéristique du chômage partiel total, notion inconnue en droit espagnol. En réalité, la notion de chômage total en cas de suspension du contrat de travail en droit espagnol et la notion de chômage partiel total en droit français sont similaires à la différence près que ce dernier ne caractérise la situation de chômage partiel total qu’après écoulement d’un certain laps de temps, là où le droit espagnol l’admet dès le début de la situation. La raison pour laquelle le droit espagnol ne peut reconnaître comme notion le chômage partiel total est simple et est due au fait qu’aucun délai maximal n’est prévu pour le chômage partiel, tandis que le droit français instaure un délai maximal de six semaines ; ainsi, au-delà de ce délai, le chômage partiel total sera caractérisé.
Procédure
En dépit de la distinction opérée, une procédure unique est à mettre en œuvre en cas de suspension du contrat de travail ou de réduction du temps de travail. Elle se rapproche énormément de celle mise en place en droit français et se base, à quelques différences près, sur le rapport de régulation d’emploi envisagé pour le licenciement collectif pour motif économique (article 51 de l’ET). Ainsi, la première différence repose sur le fait que la même procédure s’applique, quel que soit le nombre de salariés affectés par la mesure. Par la suite, l’employeur doit, comme en cas de procédure pour licenciement collectif, ouvrir un rapport de régulation d’emploi et le présenter à la direction générale du travail mais également ouvrir simultanément une période de consultation avec les représentants des salariés, procédure semblable à la demande préalable d’autorisation à l’administration en droit français (article D3171-4 du Code du travail) et de consultation du comité d’entreprise (Article L2323-27). A la différence des licenciements collectifs où la période de consultation ne peut pas dépasser 30 jours, cette procédure se voit réduite de moitié en cas de suspension et de réduction du temps de travail. Le rapport doit alors attester des difficultés rencontrées par l’entreprise mais également démontrer que les mesures envisagées ont pour but d’éviter une situation négative pour l’entreprise ou d’améliorer sa situation actuelle, à l’instar du droit français qui exige un motif réel de recours au chômage partiel. Une fois la période de consultation terminée, la direction générale du travail autorisera la mesure sous sept jours si un accord entre les parties a été conclu, à moins que soi(en)t constaté(es) une fraude, un dol ou une quelconque violence, auquel cas les tribunaux sont saisis. Toutefois, si aucun accord n’a été conclu, la direction générale du travail disposera d’un délai de quinze jours pour se prononcer sur la demande, en se basant sur le rapport qui lui aura été remis. De son côté, le droit français prévoit que la décision doit être prise sous 20 jours par le Directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ; il rejoint cependant le droit espagnol et s’accorde sur le fait que toute mesure prise sans autorisation sera nulle et obligera l’employeur à verser au salarié la perte de salaire correspondante (Tribunal Superior de Justicia 31 janvier 1992, Aranzadi Social 244 et CC 12 juillet 1989 n°87-45.463 : RJS 10/89 n°791).
Droit aux prestations de chômage en cas de suspension du contrat de travail ou de réduction de la durée du temps de travail
La loi 35/2010, en réformant la suspension du contrat de travail et en consacrant explicitement le recours à la réduction du temps de travail pour causes économiques, reconnaît expressément aux salariés touchés par les mesures le droit de prétendre aux allocations chômage. Toutefois, la rédaction de l’article 47.1 d) porte à confusion en ce qu’il en dispose que l’autorisation de recourir à de telles mesures n’ouvre pas droit à une indemnisation. En réalité, le législateur se réfère à une indemnisation hors cadre du chômage opérée par l’entreprise, laquelle ne devra en aucun cas verser une somme à titre d’indemnité aux salariés qui se verraient affectés par lesdites mesures, sauf si une telle possibilité a été prévue par convention collective. Le droit espagnol reconnait donc bien, à l’instar du droit français, que dans le cas d’une suspension de contrat de travail ou de réduction du temps de travail, les salariés pourront prétendre à une indemnisation du chômage. Néanmoins, le droit espagnol ne retenant pas la même nature de chômage selon qu’il s’agit d’une suspension ou d’une réduction, deux indemnisations différentes sont à constater, à l’inverse du droit français qui considère que ces deux modalités constituent des cas de chômage partiel et qui leur appliquera le même régime d’indemnisation.
Ainsi, en matière de réduction du temps de travail, une telle hypothèse étant qualifiée par les articles 203.3 et 208.3 de la LGSS de chômage partiel, le chef d’entreprise pourra procéder à une réduction du salaire proportionnelle à la réduction du temps de travail. Cette diminution salariale devient alors le critère de référence pour calculer le montant d’indemnisation horaire correspondant que devra verser l’INEM (Institut National pour l’Emploi) au salarié qui subit une perte de salaire (Tribunal Superior de Justicia de Aragon 2 décembre 2002 Aranzadi Social 3542). A l’inverse, les articles 203.2 et 208.2 de la LGSS définissent les hypothèses de suspension de contrat de travail comme caractérisant un cas de chômage total. En effet, conformément à ces articles, le chômage est total dès lors qu’il y a cessation totale de l’activité, que celle-ci soit définitive ou temporaire. Par conséquent, contrairement aux cas de réduction du temps de travail, l’indemnisation aura pour référence la totalité de la durée de travail habituellement fournie par le salarié.
Une fois la référence à prendre en considération pour calculer le montant de l’indemnité déterminée, le droit espagnol prévoit qu’il faut alors évaluer la durée de la prestation de chômage (article 210.1) en fonction de la durée de la période d’affiliation. Le salarié touchera à titre d’indemnité 70% du salaire perçu lors des 180 jours de la situation de chômage et 60% de ce même salaire pour les jours au-delà. A l’opposé, en droit français, les modalités d’indemnisation ainsi que le montant de l’allocation d’aide publique diffèrent. En effet, si le droit français s’accorde avec le droit espagnol pour indemniser toute heure de travail perdue au-dessous de la durée légale, et donc exclure les heures supplémentaires (CC soc 28 octobre 2008 n°07-40.865 : RJS1/09 n°61), une limite de contingents annuels d’heures est retenue à cet effet. Par conséquent, seules les heures perdues qui ne dépassent pas la limite fixée par arrêté, 1 000 heures actuellement par an et par salarié, pourront donner lieu à une indemnisation, sauf cas exceptionnel. Le droit français se distingue également en ce qu’il prévoit une indemnisation sur la base du taux horaire fixé à 3,84€ pour les entreprises de plus de 250 salariés et à 3,33€ pour les autres (article D5122-13 du Code du Travail), là où le droit espagnol retient un pourcentage sur le salaire concret de chaque salarié.
De plus, tandis que le droit espagnol considère que les indemnités en question doivent être versées aux salariés concernés directement par l’INEM, le droit français retient une autre approche et dispose aux articles R5122-14 et R5122-15 que c’est à l’employeur de les verser mensuellement à la date normale de paie dans un premier temps, avant de se faire rembourser dans un deuxième temps sur demande auprès du Directeur départemental du travail.
Par ailleurs, l’article 204.3 de la LGSS reconnaît expressément, à côté des prestations de chômage, un second niveau dit de « prestations d’assistance » ayant pour but de garantir un revenu minimum. En effet, conformément à cet article, tout salarié en situation de chômage, partiel ou total, peut prétendre à ces aides afin de pallier le manque de ressources économiques auquel il est amené à faire face. Toutefois, il convient de préciser que ces autres allocations, bien qu’elles soient considérées comme des prestations complémentaires, peuvent uniquement bénéficier à des chômeurs qui ont épuisé les prestations principales du chômage. A cette limitation vient s’ajouter une autre condition selon laquelle seules les personnes ayant des « responsabilités familiales, ou ayant plus de 45 ans, ou ayant plus de 52ans, ou n’ayant pas cotisé pendant au moins un an ou souffrant d’une incapacité » (article 215) peuvent obtenir ces « prestations d’assistance », lesquelles varient selon le cas concret tant au niveau de la durée de ces prestations que de leur montant. Un tel mécanisme n’est pas sans rappeler la rémunération mensuelle minimale prévue à l’article L3232-1 du Code du travail ; en effet, le même objectif de garantir un revenu minimum au salarié touché par le chômage peut être constaté. Néanmoins, les différences avec le modèle espagnol sont nombreuses, à commencer par le fait qu’il ne s’agit pas d’une prestation qui ne peut être perçue qu’une fois les prestations de chômage épuisées. Ensuite, contrairement au droit espagnol, le droit français ne soumet pas la rémunération minimale à des conditions aussi strictes, puisqu’un âge ou une situation de responsabilité familiale particulière pour y prétendre ne sont pas requis. Toutefois, cette dernière différence peut être analysée en faveur du modèle espagnol car, s’il est vrai que les situations déterminées par la loi ont tendance à restreindre le champ d’application des « prestations d’assistance », il convient de préciser que chaque situation se verra appliquer un régime différent pour lequel la durée et le montant des prestations sera spécifique. Par conséquent, les situations les plus difficiles seront mieux indemnisées, là où le droit français n’établit aucune distinction. Ainsi, si le droit espagnol prévoit que cette « prestation d’assistance » sera égale de manière générale à 80% de l’IPREM (indicateur public de revenus à effets multiples qui sert de référence en Espagne pour le calcul des diverses aides), celle-ci sera élevée à 107 ou 133% en fonction des responsabilités familiales du bénéficiaire de l’aide (article 217 de la LGSS) ; sa durée maximale de 18 mois pourra également dans ces cas (et plus particulièrement pour les personnes ayant plus de 45 ans) s’étendre exceptionnellement à 24 ou 30 mois (article 216). A l’inverse, le droit français prévoit que l’indemnisation sera égale au produit du Smic horaire par le nombre d’heures correspondant à la durée légale du travail pour le mois considéré. De plus, si les « prestations d’assistance » s’appliquent également, en droit espagnol, aux situations de suspension de contrat de travail, le droit français rejette cette possibilité (article L3232-4 du Code du travail).
Enfin, le modèle français se distingue par son système d’allocations conventionnelles prévues par un accord national interprofessionnel du 21 février 1968, lesquelles viennent s’ajouter à l’indemnisation publique du chômage partiel. En effet, s’il ne s’agit pas d’un régime commun mais plutôt d’une indemnisation complémentaire qui vient s’appliquer aux entreprises relevant d’une branche d’activité représentée par le Medef et couverte par la réglementation du chômage partiel, force est de constater qu’il n’y a aucun équivalent en droit espagnol, lequel ne prévoit comme protection du chômage qu’ « un niveau contributif et un niveau d’assistance, les deux ayant un caractère public et étant obligatoires » (article 204 de la LGSS). D’autre part, le chômage partiel total, concept inconnu en droit espagnol, se voit indemnisé selon les mêmes règles que le chômage total ; toutefois, le droit espagnol, bien que ne reconnaissant pas ce concept, applique la même solution aux cas de suspensions de contrat de travail pour lesquels l’indemnisation est effectuée comme en cas de chômage total.
Réouverture du droit de percevoir l’allocation chômage
La loi 35/2010, pour parvenir à son objectif de sauvegarde de l’emploi tout en améliorant la protection des chômeurs, a également réformé le thème de la réouverture des droits à l’allocation chômage. Ainsi, en réformant les mécanismes prévus par l’article 3 de la loi 27/2009, la loi 35/2010 a apporté une garantie essentielle en permettant aux salariés de prétendre à nouveau aux allocations chômage si, à la suite de la période de suspension du contrat de travail ou de réduction du temps de travail, un autre recours au chômage partiel est opéré ou bien si des licenciements sont prononcés. Il s’agit d’un droit a l’importance indéniable et qui ne se constate pas, à l’heure actuelle, en droit français.
Ce mécanisme a pour but, en pratique, de permettre aux salariés de percevoir une allocation qui serait déjà partiellement ou totalement épuisée. Il peut être constaté dans deux situations. Dans le premier cas, un salarié qui aura vu son contrat de travail suspendu ou sa durée de temps de travail réduite sera, par la suite, licencié pour motif économique ; la loi 35/2010 a alors prévu que, suite à l’extinction du contrat de travail, le salarié aura droit à la réouverture de ses droits à l’allocation chômage, contributive et non d’assistance, pour une durée égale à celle perçue pendant la situation de suspension du contrat de travail ou de réduction du temps de travail sans dépasser la limite de 180 jours fixée par la loi. De plus, deux autres conditions sont posées quant à la possibilité de réouverture des droits à l’allocation chômage, puisque la loi 35/2010 exige également que la mesure de suspension/réduction ait été autorisée administrativement entre le 1 octobre 2008 et le 31 décembre 2011, mais également que le licenciement économique se soit produit entre le 18 juin 2010 et le 31 décembre 2012.
Par ailleurs, la seconde hypothèse concerne le cas où, suite à une période de chômage total temporaire (suspension) ou de chômage partiel (réduction), l’entreprise procède à une nouvelle suspension du contrat de travail ou à une nouvelle réduction du temps de travail. Ici, la loi prévoit le même mécanisme de réouverture des droits aux allocations chômage pour la même durée que le première période mais, et c’est là une des différences avec l’hypothèse précédente, pour une période de 90 jours uniquement. Le système diffère également sur les conditions nécessaires à la réouverture des droits puisque, conformément à la loi, le salarié doit avoir totalement épuisé son droit à l’allocation chômage ; mais la loi requiert également que la première période de suspension/ réduction ait été autorisée entre le 1 octobre 2008 et le 31 décembre 2010 tandis que la seconde période ouvrant un éventuel droit à une indemnisation doit être intervenue entre le 8 mars 2009 et le 31 décembre 2010.
Ainsi, la mise en place de ces mécanismes révèle la volonté du législateur de mettre en avant la suspension du contrat de travail et la réduction du temps de travail comme de réelles mesures effectives et préférables aux licenciements économiques. En effet, à l’analyse de ces mesures il paraît évident que le législateur a voulu les rendre plus attractives, au-delà des entreprises, auprès des salariés mêmes, en leur permettant de toucher une nouvelle fois une indemnisation.
De son côté, le droit français ne prévoit pas une telle possibilité puisqu’il considère que le licenciement ultérieur à une période de suspension/réduction n’est qu’une simple régularisation de la situation des salariés auprès de Pôle Emploi. De fait, l'organisme considère que la rupture du contrat date de la mise au chômage partiel et calculera les droits des salariés licenciés en conséquence, de sorte que les allocations de chômage versées durant la période de chômage partiel viendront diminuer la durée des droits. Cette différence d’indemnisation, importante pour les salariés, peut sembler absurde du fait que le droit français et le droit espagnol envisagent ces mesures de suspension du contrat de travail et de réduction du temps de travail de la même manière. Ainsi, si le modèle espagnol envisage qu’il s’agit là de mécanismes à privilégier et instaure, de ce fait, de nombreuses garanties pour pousser les entreprises à y recourir, le droit français, bien qu’il ne mette pas en place de réouverture des droits aux allocations chômage, ne se dresse pas pour autant contre le système de chômage partiel. En effet, la circulaire DGEFP n°2009/17 du 27 mai 2009 est intervenue en matière de chômage partiel et reconnaît que ce dernier constitue « la principale mesure alternative au licenciement pour motif économique », allant jusqu’à assouplir sa mise en œuvre et ce, bien qu’il incite les entreprises « à utiliser d’autres outils en cas de baisse d’activité liée au temps de travail » lorsque cela est possible. Cette dernière précision explique peut être en partie la différence avec le modèle espagnol, le droit français voulant tout de même que les entreprises recourent à d’autres outils alternatifs au chômage partiel, lorsque cela est possible, afin de ne pas convertir ce dernier en mesure de gestion normale et non plus exceptionnelle de l’entreprise.
Incitations aux recours à la suspension de contrat de travail et à la réduction du temps de travail
La loi 35/2010, ayant pour ambition de placer la suspension du contrat de travail et la réduction du temps de travail au cœur même de la flexibilité interne de l’entreprise en tant que mesures phares de la lutte contre la crise de l’emploi, a instauré d’autres garanties permettant de rendre le recours à ces mécanismes plus attractif. De fait, s’il semble évident que la réouverture des droits à l’allocation chômage constitue une valeur sûre pour les salariés, l’entreprise, quant à elle, ne dispose pas de réels avantages autres que la baisse partielle ou totale du salaire correspondant à la suspension/réduction. C’est pourquoi, afin de favoriser ces mesures, la loi 35/2010 a mis en place, à l’instar du droit français (article L352-3 du Code de la Sécurité Sociale), des bonifications en matière de cotisations de sécurité sociale pour permettre aux entreprises, au-delà de la baisse de salaire, de limiter d’autres coûts relatifs aux contrats de travail pendant leurs périodes de suspension ou de réduction du temps de travail.
Ainsi, conformément à la réforme induite par la loi 35/2010, les entreprises procédant à une suspension du contrat de travail ou à une réduction du temps de travail pourront prétendre, après que la mesure a été autorisée, à une bonification de 50% et, dans certains cas, de 80% des cotisations de sécurité sociale. De fait, la réforme a instauré une bonification de 80% dans le cas où les entreprises qui auraient recours à une suspension/réduction mettraient également en place des mesures ayant pour but de réduire les effets négatifs qui y sont liés en prévoyant, notamment, des actions de formation pour les salariés touchés. De son côté, le droit français opère une exonération totale des cotisations de sécurité sociale (article L352-3 du Code de la Sécurité sociale) mais ne la soumet aucunement à une éventuelle action de formation ; les deux modèles possèdent donc leurs avantages respectifs : ainsi, le droit français prévoit une meilleure bonification puisqu’il instaure une exonération totale plus profitable à l’entreprise alors que le droit espagnol, plus protecteur du salarié, prévoit une bonification inférieure mais introduit une sorte de devoir de l’employeur de proposer à ses salariés des formations afin d’augmenter leurs compétences et leur employabilité.
Par ailleurs, le droit espagnol soumet également ce système de bonification, contrairement au droit français, à d’autres conditions restrictives. En premier lieu, l’entreprise doit être en règle au niveau de ses obligations tributaires et, en particulier, de cotisations de sécurité sociale ; elle ne doit pas également avoir commis d’infractions très graves à cet effet. La loi 35/2010 instaure aussi comme condition restrictive, et une nouvelle fois protectrice du salarié, l’obligation pour l’entreprise ayant bénéficié de ces bonifications de maintenir pendant un an l’emploi des salariés affectés par les mesures de suspension/réduction, la violation de cette obligation entraînant la restitution des bonifications appliquées. Enfin, la loi exclut du droit à ces bonifications pendant une période de douze mois les entreprises qui auraient procédé à des licenciements économiques déclarés sans motif réel et sérieux par la suite. A l’inverse, au regard de la législation française, force est de constater qu’il n’y a pas de conditions pour prétendre à l’exonération des cotisations de sécurité sociale ; l’absence de conditions peut sembler plus bénéfique pour les entreprises mais, à la suite de l’analyse du modèle espagnol, il est évident que ce dernier met en place de nombreuses conditions, toujours dans une optique de protection plus effective des salariés.
Bibliographie :
Sources espagnoles :
- Carlos Molero Manglano, « Manual de Derecho del Trabajo », 2010
- Francis Lefebvre, « Memento Práctico Social », 2010
- Eduardo Ortega Prieto, « La reforma laboral de 2010 », 2010
- Ignacio García-Perrote Escartín, « La reforma del mercado del trabajo. Ley 35/2010, de 17 de septiembre », 2010
- Manuel G. Pascual, «El “modelo alemán” salvó 250.000 empleos el pasado año», Cinco Días 28 mars 2011
-Joaquín Vidal Vidal et Luisa Vicedo Cañada, « Ley 35/2010, de 17 de septiembre, y las reducciones de jornada con derecho a desempleo parcial», Doctrina científica, 2010
- “La reducción temporal de jornada tras la reforma”, Lex Nova, 2010
Sources françaises :
- Francis Lefebvre, « Mémento Pratique Social », 2009
- Jean Pélissier, « Droit du travail », 2010
- Pascal Lokiec, « Le chômage partiel : pour une autre approche », Droit social 2009 p.393