A propos de A propos de l’efficacité des arrêts de la « CEDH » : la possibilité de réexamen de décisions internes en contradiction avec les arrêts de la CEDH, dans les droits internes français et espagnol par Emilie Hayvel

L’Espagne et la France ont tout deux su créer des procédures de révisions spécifiques des procédures internes en contradiction avec un arrêt de condamnation de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), portant dès lors atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée. Le cas de l’Espagne est à mettre en exergue. Le Tribunal Constitutionnel (TC), par son arrêt du 16/12/91 a estimé qu’il était contraire à l’ordre constitutionnel d’exécuter une décision jugée attentatoire à la CESDH par la Cour européenne et a, par conséquent, imposé une procédure de réouverture spécifique.

L’Espagne et la France ont tout deux su créer des procédures de révisions spécifiques des procédures internes en contradiction avec un arrêt de condamnation de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), portant dès lors atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée. Le cas de l’Espagne est à mettre en exergue. Le Tribunal Constitutionnel (TC), par son arrêt du 16/12/91 a estimé qu’il était contraire à l’ordre constitutionnel d’exécuter une décision jugée attentatoire à la CESDH par la Cour européenne et a, par conséquent, imposé une procédure de réouverture spécifique. La réalisation d’une protection, sur le plan international, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne peut être singulière à la CEDH. Elle nécessite le concours effectif des Etats membres. Ce concours peut se faire pour l’avenir, en prenant en compte la jurisprudence de la Cour et ses acquis dans de futures procédures. Il doit également pouvoir se faire pour le passé, par le biais de possibles remaniements de procédures internes antérieures ayant donné lieu à une condamnation par la Cour du fait de la violation de dispositions de la CESDH, et plus particulièrement de l’art. 6§1. Une question qui demeure est celle de savoir si les conséquences de cette violation seront effacées, au travers du principe de la restitutio in integrum. Une réparation totale risque d’être difficile pour certaines violations, lorsque le manquement à la Convention se traduit, par exemple, par le dépassement d’un délai raisonnable, ou bien par une injuste privation de liberté. Il n’existe évidemment aucun moyen de faire cesser la violation qui a déjà eu lieu, il faudra dès lors se contenter d’une indemnisation pouvant être allouée par la Cour, sur le fondement de l’art. 41 de la CESDH, à titre de satisfaction équitable. Mais il est souvent matériellement possible d’effacer les traces de la violation constatée et d’empêcher qu’il ne s’en inscrive d’autres dans l’avenir. Pour cela, il doit pouvoir être offert la possibilité pour un justiciable n’ayant pas bénéficié d’un procès équitable au sens de l’art. 6§1 d’être rejugé. Afin de parvenir à de tels résultats et pour faire produire à la Convention ses effets les plus utiles et les plus concrèts, il conviendrait le plus souvent de rouvrir la procédure moyennant une exception au principe de l’autorité de la chose jugée dont est revêtue la décision interne stigmatisée par la CEDH. Peut-on encore aujourd’hui acheter la sécurité juridique au prix du maintien d’une violation des droits de l’homme ? Peut on sérieusement refuser de faire cesser une violation des droits de l’homme constatée par une juridiction internationale au prétexte que l’on ne veut pas ajouter une voie de recours interne supplémentaire de peur d’ébrécher ce principe de sécurité ? L’Espagne, par le biais de son arrêt « Bulto » du 16/12/91, et la France, plus tardivement, au travers de la loi du 15 juin 2000, ont tous les deux su créer des procédures de révision spécifiques des procédures internes en contradiction avec un arrêt de condamnation de la CEDH. De fait, ces dernières portaient atteinte, de façon modérée, puisqu’exceptionnelle, au principe de l’autorité de la chose jugée. Les deux méthodes choisies ont pour but d'incorporer dans leur ordre juridique interne une obligation. Il s'agit de se conformer aux arrêts de la Cour de Strasbourg, provenant d'un texte international, la CESDH.

Les effets déclaratoire et obligatoires des arrêts de la CEDH dans les ordres juridiques internes.

Conformément aux art. 44 et 46 de la CESDH, les arrêts rendus par la Cour européenne sont avant tout déclaratoires. Le TC a donc raison en affirmant dans son arrêt du 16/12/91 que les décisions de Cour n’ont aucune efficacité exécutoire, mais uniquement déclaratoire, et qu’elles « n’annulent ni ne modifient, par elles mêmes les actes internes, en l’espèce des arrêts, déclarés contraires à la Convention » (2ème fondement juridique §1 du TC). En effet, les arrêts de la Cour européenne se limitent à constater si les autorités de l’Etat ont violé ou pas la Convention européenne (Affaires Marckx 13/06/79 et Pakelli 25/04/83 entre autres). Ainsi, les arrêts de la Cour européenne sont dénués d’effets judiciaires directs internes. Telle semble être la position de la Cour de Cassation française, à travers une jurisprudence peut être plus réticente que la jurisprudence constitutionnelle espagnole. « Les décisions rendues par ladite Cour n’ont aucune incidence directe en droit interne sur les décisions des juridictions nationales » (Cas. Crim. 04/05/94, Saidi). Cette position reflète bien l'état d'esprit des juridictions judiciaires françaises, responsables du retard de toute prise en considération d'une législation permettant de réexaminer des procédures internes ayant autorité de chose jugée. Or, en déclarant qu’il reconnaît la juridiction obligatoire de la Cour européenne, l’Etat s’est engagé à se conformer à ces décisions (art. 46 CESDH). L’Etat ayant violé la Convention doit ainsi mettre en pratique l’arrêt de la Cour. En devenant membre de la Convention, l’Etat s’est formellement engagé à adopter les mesures internes nécessaires afin de se conformer à ces décisions. Il s’agit d’une obligation de résultat pesant sur l’Etat ayant enfreint la Convention et ayant été condamnée par la CEDH. Ces arrêts ne constituent en aucun cas un titre exécutoire contre l’Etat en question, qui reste l’unique à pouvoir s’y conformer. A cette obligation s’ajoute d’autres obligations, comme celle de mettre fin à la violation, ou bien d’effacer les conséquences passées du fait internationalement illicite. S’il n’existe aucune norme de droit interne permettant la révision ou bien l’annulation d’arrêts ayant autorité de chose jugée, permettant une restitutio in integrum, alors, l’art. 41 pourra s’appliquer. Il rendra alors possible une réparation équitable, sous forme d’une indemnisation octroyée par la Cour européenne. La Convention s'abstenant d’imposer aux Etats des obligations de moyens, les Etats condamnés ont le libre choix des moyens de se conformer aux arrêts de la Cour. Ceci du fait de l’absence d’un pouvoir d’injonction de la Cour. Ce libre choix peut dès lors passer par l’intervention des autorités exécutives, tout comme celle du législateur. Tel est le cas en France (III), mais également en Allemagne (art. 359§6 du code de procédure pénale suite à la loi du 02/04/98), au Royaume-Uni (art. 9 à 12, loi de 1995 sur les appels en matière criminelle), que l'on peut citer parmi les Etats européens les plus condamnés. On peut arriver au même résultat à travers l’exécution de l’arrêt de la CEDH par le juge interne et sa jurisprudence (II). Ce procédé a été mis en oeuvre par le juge belge, qui a rendu possible la réouverture d'une procédure attaquée en application de l'art. 441 du Code de procédure pénale. Ces hypothèses sont prises en considération dans divers ordres juridiques européens, permettant une réouverture judiciaire au titre de la restitutio in integrum.

Les Etats admettant un fondement jurisprudentiel à la réouverture d’une procédure interne : Le cas de l’Espagne, une création jurisprudentielle unique mais critiquable.

Selon le TC, dans son arrêt du 16/12/91, les circonstances objectives prévues à l’art. 41 de la CESDH pour la satisfaction équitable ne semblent pas être réunies en l’espèce. Le Tribunal estime que cette réparation « n’entre en jeu que lorsque le droit interne ne permet pas une réparation parfaite des conséquences de l’arrêt de l’Etat en question ». Or d’après lui, cette possibilité existe dans l’ordre juridique espagnol à travers le recours d’amparo constitutionnel. Il s'agit d'un recours de protection formé par toute personne qui estime que ses droits constitutionnels ont été violés. Il s'agit pour le TC de veiller à la protection extraordinaire de certains droits fondamentaux. Le TC a ouvert cette possibilité suite à la première condamnation de l’Espagne par la CEDH. A travers son arrêt, le tribunal se place comme le garant de la bonne exécution, dans l’ordre interne espagnol, des arrêts de la CEDH. Mais en décidant de reprendre en considération les arrêts des juridictions judiciaires datant de 1982, ayant clairement autorité de chose jugée, le Tribunal semble passer outre ce principe. En acceptant de revenir dessus, il souhaite faire primer l’idée selon laquelle la violation d’un droit reconnu tant par la Convention européenne que par la Constitution espagnole, ne peut perdurer. L'exécution d'un arrêt qui viole la Convention doit être considéré comme contraire à l'ordre constitutionnel espagnol. Les requérants demandaient au TC l’annulation de l’arrêt rendu par le Tribunal Suprême espagnol de 1990. Celui-ci avait rejeté la demande d’annulation des arrêts de condamnation de 1982, consolidant de la sorte la situation d’illégalité dans laquelle se produit la violation tant de l’art. 6§1 de la CESDH que des droits reconnus aux art. 24§1 et 17 de la Constitution espagnole. Il s’agissait de réparer la privation de liberté des requérants depuis 1982 suite à des atteintes à leur droit à un procès équitable, surtout en ce qui concerne le caractère oral du procès. Le TC a souligné que les magistrats de la juridiction ordinaire ne pouvaient annuler eux-mêmes ces arrêts en l’absence d’une législation pertinente en matière de procédure. Mais cette limite de procédure ne se présente pas au TC quand sont révisés des vices de procédure ou des situations de manquements aux droits de la défense. En présence d’une telle situation, et malgré l’autorité de chose jugée de l’arrêt, le recours d’amparo constitue l’unique remède afin de remettre en place le droit violé selon le TC. La seule satisfaction équitable de l’art. 41 ne suffisant pas, seul un retour en arrière juridique, est considéré par le TC comme une réparation satisfaisante. Le TC se considère dès lors compétent pour annuler lesdites décisions internes. Le TC a fait le choix, afin de préserver des droits reconnus tant par la Constitution que par la Convention de Rome, d’utiliser le mécanisme du recours d’amparo, mécanisme extraordinaire et exceptionnel. La position prise par le TC a été critiquée par le juge Gimeno SENDRA, par le biais de son vote dissident lors de cette affaire. Selon lui, à partir de cette décision, le TC se convertit alors en un simple organe exécuteur des décisions européennes. La prise en charge de cette fonction convertira alors de facto la Cour européenne en une « supercassation » constitutionnelle, et le TC en simple exécuteur. Ceci aurait pour effet d’introduire des distorsions dans le propre système de ce recours. Le TC semble affirmer que l’emploi de ce recours se produit en l’absence de nouvelles voies de procédures. Celles-ci permettraient de donner une réponse plus satisfaisante aux conséquences juridiques d’une déclaration de la CEDH. Ces déclarations ont la même fonction que celles du TC. Ce tribunal fait alors appel au législateur espagnol, afin qu’il rétablisse une articulation plus adaptée entre les juridictions espagnoles. Une déclaration du TC n’étant pas en soit nécessaire, mais indispensable en absence de toute législation modifiant la procédure permettant aux organes judiciaires ordinaires de rendre effectif ces arrêts. L'interprétation du droit procédural (englobant les hypothèses de jugement de la CEDH) fut parfois considérée comme le résultat d’un véritable gouvernement des juges. La conséquence est la fragilisation du système judiciaire en question. Suite à l’affaire « Bulto », où l’ouverture a été ordonnée, on constate en retour la timidité du juge constitutionnel dans l’affaire « Ruiz Mateos ». La révision de la procédure a été refusée, au motif que le tribunal ne s’estimait pas compétent pour annuler ses propres décisions, mais aussi parce qu’il s’agissait surtout d’un contentieux au civil (expropriation) et non au pénal. Le TC peut-il mener seul le combat de l’exécution des arrêts de la CEDH ? Ne devient il pas qu’un simple exécuteur allant jusqu’à se perdre dans sa fonction de protection suprême des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? Malgré une déformation du mécanisme du recours d'amparo, la position prise par le TC se justifie par le besoin fondamental de se conformer à la CESDH, aux arrêts de sa Cour, en l'absence de législation spécifique en matière de réouverture de procédures internes déclarée contraire à la CESDH.

Les Etats dotés d’une lex specialis : Le cas de la France, un long chemin vers une réforme législative plutôt tardive et stricte.

La France a eu, à de nombreuses occasions, l’opportunité de mettre en œuvre un mécanisme de réexamen des procédures internes. Mais elle a beaucoup tardé à le faire. Le requérant individuel qui saisit les instances européennes a longtemps combattu exclusivement pour le droit, l’honneur des principes et l’amélioration de la situation de ceux qui pourront ensuite s’engouffrer dans la brèche qu’il aura fait ouvrir. La situation de la France, en l’absence de dispositions législatives permettant la réouverture d’une procédure interne n’était en rien scandaleuse. Les arrêts de la CEDH ont un caractère purement déclaratoire (affaire Marckx précitée), et ne vont donc pas jusqu’à casser ou annuler les décisions internes pourtant contraire à la Convention. Il semble dès lors logique de combler cette lacune juridique par l’organisation d’une nouvelle procédure. Pourtant, le juge français et tout particulièrement la chambre criminelle, a été pendant longtemps hostile à toute influence d’un arrêt de condamnation de la Cour de Strasbourg sur la validité d’une procédure interne n’ayant pourtant même pas reçu la consécration du principe de l’autorité de chose jugée (Cas. Crim. 03/02/93, Kemmache et Cas. Crim. 04/05/94, Saidi, comme cité précédemment). Il a été impossible de compter sur les juridictions judiciaires pour adopter des procédures de révision classiques. De son côté, le Conseil constitutionnel français, qui se refuse à contrôler la conventionalité des lois, devrait accomplir une véritable révolution pour pouvoir affirmer, comme le TC espagnol, que l’exécution d’une décision déclarée contraire à la CESDH par la Cour européenne est contraire à l’ordre constitutionnel. Il a fallu se résoudre à s’en remettre à une intervention du législateur qui fut quelque peu tardive pour l’Etat précurseur des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes a instauré un mécanisme de réexamen d’une décision pénale définitive, après un arrêt rendu par la CEDH constatant une violation des dispositions de la CESDH, « dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable allouée sur le fondement de l’art. 41 de la Convention ne pourrait mettre un terme ». Selon le Doyen Cohen-Jonathan, il s’agit du « moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum ». Néanmoins, le réexamen de la procédure interne n’est pas automatique. L’art. 626-1 du code de procédure pénale, exige que la violation constatée entraîne des « conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable ne pourrait mettre un terme ». D’où une marge d’appréciation autonome octroyée à la Commission, juridiction sui generis. Cette Commission, représentant chacune des chambres de la Cour de cassation, fut composée pour la première fois le 13 septembre 2000. Les conditions pour qu'elle puisse se réunir sont cumulatives et semblent relativement strictes. Il est ainsi nécessaire que la décision réexaminée soit une décision pénale définitive, au profit d'une personne "reconnue coupable d'une infraction". Il est indispensable que la condamnation en question soit prononcée en violation de la CESDH et que celle-ci soit constatée par la CEDH, tout en exigeant un lien de causalité, entre les deux. De plus, elle n'a pas le pouvoir de réexaminer l'affaire, et ne peut que la renvoyer pour réexamen devant une autre juridiction sans disposer du pouvoir d'annuler la décision de condamnation litigieuse. Dans l'affaire Hakkar du 30/11/00, la Commission, qui a renvoyé pour réexamen, a suspendu l'exécution de la condamnation sans pour autant l'annuler, laissant dès lors planer le doute quant à l'efficacité réelle de cette Commission. En 5 ans de travail, la Commission a reçu 37 requêtes de réexamen n'en renvoyant que 18 à une autre juridiction interne pour réouverture de la procédure.

Conclusion: Sommes nous confrontés à un choix entre l'insécurité d'une jurisprudence, et la sécurité juridique? Malgré ce travail législatif, la France fait partie des Etats les plus condamnés par la CEDH. Les décisions de la Commission de réexamen sont-elles suffisantes et parviennent-elles à de meilleurs résultats que la jurisprudence du TC espagnol ? La loi française du 15 juin 2000 a permis d'assurer la légitimité du réexamen de procédures internes qui étaient déclarées contraires aux arrêts de la CEDH. Dans la pratique, la Commission (responsable du réexamen) ne dispose pas du pouvoir de faire annuler ladite procédure. Elle ne fait que la renvoyer devant une autre juridiction. Ceci a pour effet de rallonger une procédure déjà suffisamment longue, laissant dès lors subsister un doute quant à l'efficacité de cette juridiction sui generis. Pour le TC espagnol, il s'agissait de donner aux arrêts de la CEDH une efficacité plus complète et réelle, en sensibilisant le législateur espagnol. L'objectif étant que ce dernier prenne ses responsabilités en ce qui concerne la mise en application concrète dans son ordre juridique interne d'une obligation provenant d'un texte international (CESDH). Cependant, cette mise en application comporte un risque, celui d'aller au delà de ses fonctions de garant des droits reconnus dans la Constitution. L'interprétation du droit par les juridictions est une activité centrale des institutions. Pour cela, il est nécessaire que le législateur national et européen fasse porter ses efforts dans ce domaine. Ceci afin de garantir la bonne administration de la justice en faveur des droits de l'Homme.